T Digitized by the Internet Archive in 2016 https://archive.org/details/b24876057 5 SOCRATE ET VoAmour Grec ♦ SOCRATE ET IPAmour Grec ( Socrates sanctus naiSepaatrjs ) D1SSERT ATlON DE Jean-Matthias GESNER Traduite en Francais pour la premiere fois Texte Latin en regard Par Alcide BONNEAU PARIS Isidore LISEUX , Editeur Rue Bonaparte, n° 2 I 877 ^ Qt-FA-TE: f <rv / /hio nT .• T'pn iA /^ / ( / a_) AVANT-PROPOS jegg^arean-Matthias Gesner, 1’auteurde «JgE cette curieuse dissertation, est I S&fe l un erudit Allemand du xvm e sie- cle, dont les travaux ne sont pas tres- connus en France. On lui doit d’excel- lentes etudes sur les Scriptores rei rus- ticce , une Chrestomathie de Ciceron, une Chrestomathie Grecque , des Lexi- ques, une traduction Latine des ceu- vres de Lucien, des editions de Pline le jeune, de Claudien, de Quintilien, de Rutilius Lupus et autres anciens a VI AVANT-PROPOS rheteurs, toutcs enrichies de notes sa- vantes et de longs prolegomenes; plus, un nombre formidable de dissertations sur toutes sortes de sujets, Opuscula di- versi argumenti (Breslau, 1743-45, 8 vol, in-8°), parmi lesquelles son Socrates sanctus pce der asta tire forcement l’oeil par la bizarrerie de son titre. Cette bizarrerie a valu au livre sa no- toriete, et en meme temps lui a fait grand tort. Beaucoup de gens, entre autres Voltaire, malheureusement pour 1 ’erudit Tudesque, n’ont pas ete au dela, et iis ont construit sur cette minee donnee un ouvrage tout entier de leur fantaisie, a 1 ’extreme desavantage du pauvre Gesner. D’autres ont cru Voltaire sur parole et sont arrives au meme resultat. C’est Larcher, THelleniste, qui le pre- mier chez nous mit en lumiere cet opus- cule, dans son Supplemenl & THistoire universelle de labbe Bapn (1767, in-8°), en le citant parmi les ouvragcs a con- AVANT-PROPOS VII sulter sur le proces de Socrate ; il se contenta d’en faire mention, sans meme traduire ni expliquer le titre, ne s’ima- ginant pas qu’on put s’y meprendre, et qu’un homme tel que Gesner fut suppose capable d’une indecente apologie. Vol- taire, dont le vif et alerte esprit se plai- sait a effleurer les surfaces, sans presque jamais approfondir, ne connaissait sans doute pas Gesner et certainement n’avait pas lu son Socrates. Le Supplement a VHistoire nniverselle n’etait d 7 ailleurs qu une refutation tres-savante, quoique un peu lourde, de son Introduction a 1'Essai sur les maeurs , publiee d^abord a part et sous le pseudonyme de 1’abbe Bazin; quelques critiques justes qu’on y rencontre le mirent de mauvaise humeur , et, battu sur divers points d’erudition, il chercha une occasion de dauber Larcher, a cote du sujet, selon son habitude. Il crut la trouver dans le livre etrange qu’il supposa, d’aprcs le titre cite qu’il inter- VIII AVANT-PROPOS pretait mal, s’indigna de ce qu’on osait donner comme faisantautoritedesimons- trueuses elucubrations (le monstrueux n’etait que dans ce qu’il imaginait), et tantot sous le pseudonyme d’Orbilius, tantot sous celui de M Ilc Bazin ( Defense de mon oncle, un de ses pamphlets), il ne cessa de poursuivre la-dessus de ses bro- cards son inoflensif adversaire. Tres- content d’avoir leve ce lievre, il a meme reproduit son assertion plus que hasardee dans le plus populaire de ses ouvrages ; on la trouve en note de 1’article Amour socratique , du Dictionnaire philosophi- que. « Un ecrivain moderne, nomme Larcher, repetiteur de college, dans un libelle rempli d’erreurs en tout genre et de la critique la plus grossiere, ose citer je ne sais quel bouquin dans lequel on appelle Socrate Sanctus pcderastes ; So- crate saint b ! Il n’a pas ete suivi dans ces horrcurs par 1’abbe Foucher. » Larcher avait trop beau jeu pour ne AVANT-PROPOS IX pas repliquer. II le fit dans sa Repons e . la Defense de mon oncle (1767, in-8°), opuscule rare, reimprime a la suite du Supplement a 1’Histoire universelle : « Vous m’attribuez , dit-il a Voltaire, votre infame et infidele traduction du titre d’une dissertation de feu M. Gesnera Je n’ai point traduit le titre de cette dis- sertation ; il ne pouvait se prendre que dans un sens tres-honnete, mais il etait reserve a M lle Bazin et a Orbilius de lui en donner un infame. Cela ne vous suf- fisait-il pas? Fallait-il encore me 1 ’im- puter? » Pour qui avait suivi toutes les phases de la discussion, Larcher et Gesner etaient innocentes; Voltaire restait convaincu d’avoir note dfinfamie un livre sans le connaitre. Mais ces temps sont loin ; per- sonne aujourd’hui ne lit Larcher pour son plaisir, et le Dictionnaire philoso- phique est dans toutes les mains. Voila pourquoi on croit generalement que Ges~ X AVANT-PROPOS ner a developpe le plus scabreux des pa- radoxes et fait une apologie en regie d’un vice honteux. Nous pourrions citer au moins un de ceux qui, se fiant a Voltaire, ont propage 1’erreur mise par lui en cir- culation, et affirme que cette dissertation n’est qu’un tissu d’invectives ; mais nous ne voulons faire de la peine a personne. Gesner, ecrivain des plus doctes et plus estime encore pour son caractere que pour son savoir, professeur de Belles- Lettres a TUniversite de Goettingue, puis bibliothecaire de cette universite, ne pou- vait ecrire qu’une defense de Socrate, une refutation des calomnies dont on a obscurci sa memoire, et que la langue a attachees a son nora d’une maniere en quelque sorte indelebile par les mots de socratisme et d 'amour socratique. Inquiet et tourmente, comme il 1’assure, de voir peser sur le pere de la Philosophie de si indignes soup9ons, il a voulu remonter aux sources, compulser tout le dossier AVANT-PROPOS XI et reviser le proces sur les pieces memes. II l'a fait d’une facon non moins inge- nieuse que savante dans cette disserta- tion lue a 1 ’Academie de Goettingue en fevrier 1752, recueillie dans les Memoires de cette academie (t. II, p. 1), dans les Opuscula diversi argumenti de 1 ’auteur et tiree a part en 1769 (Utrecht, in-8°). C’est cette derniere edition que nous avons suivie pour la reimprimer et la tra- duire, ce qui n’avait jamais ete fait en Francais, ni probablement dans aucune autre langue. Gesner a-t-il reussi a dis- culper entierement Socrate? Nous l’es- perons; mais nous etions de son avis avant d 7 avoir lu son livre, et, ccmme per- sonne ne 1’ignore, c’est surtout chez ceux qui pensent comme lui qu’un auteur, si bon dialecticien qu’il soit, porte la con- viction. Les esprits mal faits qui incli- nent a 1’opinion contraire, et ceux-la seront toujours difficiles a persuader, persisteront peut-etre a trouver singulier XII AVANT-PROPOS que Platon, interprete de Socrate, ait si souvent parle de 1’amour; qu’il ait con- sacre trois de ses plus beaux dialogues, le Lysis , le Phedre et le Banquet , a cette brulante passion; qu’il l’ait tant de fois soumise aux analyses les plus delicates, expliquee par les conceptions les plus sublimes, les mythes les plus poetiques, et que jamais, sauf un moment, dans l’admirable episode de Diotime du Ban- quet , il ne soit question de la femme. Alcide Bonneau. UEDITEUR AU LECTEUR [TIRE DE l’eDITION D’UTRECHT, 1 768] es hommes illustres, ceux qui sont regardes comme tels non-seulement par la posterite, mais par leurs contemporains, ceux surtout dont le plus grand eclat consiste precisement dans leur vertu, sont souvent accuses, sur les plus legers indices, de quelques travers, sinon de defauts plus graves; et c’est la un travers EDITOR L. S. iros illustres, et non a posteris solis sed coaevis tales habitos , eos maxime quorum praecipua laus virtutis est , vitii alicujus nedum criminis gravioris suspicari levibus ar- gumentis, vitium id quidem non leve : reos agere et condemnare crimen et piaculum ; in Christiano homine, in homine , in barbaro. Quanta istorum ignominia, tanta est gloria piorum virornm qui versantur in probrosis his XIV l’editeur qui Iui-meme ne manque pas de gravite. Se faire a la fois 1’accusateur et le juge, c’est une chose criminelle, un sacrilege, qu’il s’agisse d’un Chretien, ou seulement d’un homme, meme d’un paien. L’ignominie de ceux-la rehausse d’autant la gloire des hommes pieux qui s’appli- quent a repousser ces odieuses attaques. On peut le dire de Gesner, ce savant illus- tre, du petit nombre de ceux qui depas- sant par la science tous leurs contempo- rains, font encore plus estimer en eux les qualites du coeur que celles de 1’esprit ; c’est un honneur pour lui d’avoir pris en main la cause de Socrate, et un plus grand peut-etre pour Socrate d’avoir dte le Client de Gesner. II nous a paru bon de recueillir dans une edition nouvelle cet ouvrage de faible conatibus coercendis. Gesnero, illustri nomini , e numero paucorum illorum qui cum eruditione coaevos possint excellere, animi dotibus quam ingenii celebrari malunt, incertum an honori sit caussam Socratis egisse, magis quam Socrati Gesnerum habuisse patronum. Visum fuit , memoriam brevis operae sed auro contra noti carae nova editione colere. Docuit vir praeclarus , scripto quidem, quam inani co- natu virtus summi hominis sollicitata fuerit ab obscuris obtrectatoribus , qui non solent deesse virtuti. Docuit autem exemplo, pertinere ad AU LECTEUR XV dimension, mais qui ne serait pas trop cher paye au poids de For. Son excellent auteur nous y montre, la plume a la main, 1’inanite des efforts diriges contre un sage par ces obscurs detracteurs qui ne man- quent jamais a lavertu; il nous fait voir aussi, par son exemple, qu’il appartient a tout honnete homme de defendre la cause des gens de bien. II nous enseigne surtout avec quel soin et avec quelle erudition il est besoin d’ecrire dans de telles matieres, ou l’on ne doit rien avancer qu’apres un examen scrupuleux. Profite donc, lecteur, de ce travail, plus utile qu’il ne le semblerait au premier abord; et si, par ignorance ou par trop forte credulite, tu as rejetd loin de toi les ecrits Socratiques, reprends-les maintenant et garde-les avec amour. Il nous sera per- bonos omnes bonorum virorum caussam : tum et illud, in primis, ubi ejus modi res agitur, accu- rate et docte scribendum esse, nec arripi quid- piam absque subtili examine, et benevolo illo , debere. Fruere, Lector , labore utiliori quam decet : et si imprudentius forte abjeceris Socraticas char- tas nimium credulus, abi continuo et in sinu eas reconde. Integrum erit culpare qui Socratem citant, tibi convenisset laudari Davidem et Sa- lomonem : sed patiamur , bonum et pauperem Socratem . , placide subridentem , sereno vultu , xvi l’editeur au lecteur mis a notre tour de mettre en accusation ceux qui font un crime a Socrate de ce qu'ils trouveraient admirable s’il s’agissait de David et de Salomon ; mais laissons le bon et pauvre Philosophe s’interposer dou- cement avec son placide sourire, son tran- quille visage, et s’ecrier : Moi aussi, Vertu, je t’ai honoree, Deesse ! Quant a ceux qui blameront cette apolo- gie, non comme excessive, grands dieux, car que pourrait-on dire de trop sur So- crate ? mais comme inconvenante et depla- cee, qirils prennent garde de tomber dans Todieux de cette populace Portugaise tou- jours prete, sinon a lapider ou a bruler, du moins a exorciser a force de signes de croix traces d’un doigt tremblant, le teme- raire qui oserait croire que la Bienheu- reuse Vierge Marie etait une Juive. leniter interponere, Et ego te, Virtus ! colui Deam, Quibus fastidium movent elogia, justa Di boni! quid enim de Socrate dici nimium potest? sed quce magis opportune forsatn collocari potuis- sent, videant ne in odium id evadat, quale est plebis Lusitanae, si non rogum parantis aut la- pides, saltim tremente digito averruncas cruces describentis, si quis auserit credere, B. Virginem Judaeam fuisse. SOCRATE ET UaAmour Grec IO. MATTHI. GESNERI V. C. Socrates SANCTUS T/E D E T{A STA t nihil tam alte vel natura , vel virtus , vel fortuna constituit, in quo non vel deprehendatur ali- quid labis et vitii , vel vires suas experia- tur maledica invidia , cujus vocibus boni etiam viri abripi se ad suspicandum certe non nunquam patiuntur : ita mirum non est , neque excelsam Socratis gloriam Socrate ET L’qAMOU% g%ec 1 n’est rien de place si haut par la nature, la vertu ou la fortune, qui n’ait ses taches ou ses inv perfections, ou que 1’envie ne s’efforce d’atteindre, cette medisante envie dont les clameurs poussent 1’homme de bien lui-meme a soupconner le mal : c’est pourquoi nous nc devons point nous 4 SOCRATE obtrectatoribus suis carnis se. Ac de Anyti Melitique criminibus, quibus op- pressus est vir innocens , et, si forte vani- tatis aut nugarum et cavillationum pos- tulatus, et Scurrae nomine traductus est (i), in prcesenti non erimus soliciti. Unum crimen est, quod, varie jactatum, et plus semel non sine specie in scenam reduc- tum scepe me solicitum habuit, Fuerit ne impuro ac detestabili puerorum amori deditus? Hoc enim si verum sit, actum est profecto de virtute viri, indignus est cujus cum honore nomen usurpetur. 2. Postulatum esse hujus turpitudinis, negari non potest. Mittimus , quae de adolescentia viri ad libidinem proclivi (i) Factum id esse a Zenone Epicureo, prodidit Cic. de Nat. Deor. i, C. 34, ubi vid. Davis. ET L’AMOUR GREC 5 etonner que lagloire si haute de Socrate ait eu, elle aussi, ses detracteurs. Tou- tefois nous ne voulons ni parier ici des accusations d’Anytus et de Melitus sous lesquelles succomba son innocence, ni nous inquieter de savoir si ce grand homine a ete incrimine de vanite, de mensonge et de sophisme, affuble du surnom de Bouffon[i). Une seule accu- sation m’a souvent tourmente ; c’est celle qui, sans cesse discutee, a toujours ete remise en avant, non sans apparence de justesse: Socrate etait-il adonne d l’impur et detestable amour des jeanes gargons ? Si cela est vrai, c’en est fait des- ormais de la vertu de cet homme ; c’est un indigne, lui dont on ne prononce le nom qu’avec respect. 2. Qu’il ait ete accuse de cette turpi- tude, le fait est certain. Negligeons ce que Porphyre, d’apres Theodoret [De la (i) Comme le fait PEpicurien Zenon, au dire de Ci- c6ron {De Natura Deorum , i) ; consuit, la-dessus J. Davies. i . 6 SOCRATE Porphyrius apud Theodoretum [Graecar, affect. cur. ser. 4 pr.) memorat : nam ibidem additur , illum c-ojo^ xat oioayrj xouxou? a^aviaat xou; xurcous, impressas ve- luti notas libidinum studio ac doctrina abolevisse (1). Neque valde huc faciunt , quce ex eodem Porphyrio , qui Aristo- xeno auctore usus sit, idem Theodore- tus (Serm. 12 p. iy5, 8) memorat, par- tim quod ad adolescendam primam viri, de qua nobis sermo non est, pertinent , partim quod Archelaus Anaxagorae dis- cipulus, honestus amator (spaax 7 ]$) ipsius fuit. Ejusdem generis est, quod Cyrillus (contra Julia. 6, p. 186, D) ex eodem Porphyrio (in Historia Philosopha , libro olim deperdito) refert , Socratem -po; xr ( v twv aopootatwv yp7jatv acpo Spdxspov p.sv sivac, aoizov os p.rj -poasTvat. t\ yap xaT;Ya[j.sxaT;, vj xat? •/.oivat; y prjaQat fj-ovat?. Fuisse ad res venereas aliquantum vehementem, sed injuriam abfuisse, qui vel uxoribus solis, vel (1) Conf. quae in fra de mali equi Socratici notis dicentur. § 18. et l’amour grec 7 cure des prejuges des Grecs , Disc. iv), raconte de sa jeunesse, laquelle aurait ete encline au libertinage ; 1’auteur ajoute, en effet, au meme endroit qu’il parvint a effacer en lui, par Venergie de sa volonte \ jusqu’aux traces meme des passions (i). Ne nous occupons pas non plus de ce que le meme Theodoret (Discours xn) emprunte encore a Por- phyre, qui lui-meme suivait Aristoxene, c’est-a-dire de ce qui se rapporte a la premiere jeunesse de Socrate (elle n’est pas en cause), et a ce disciple d’Anaxa- goras, Archelaus, qui aurait ete, en tout bien tout honneur, un ami fervent (!pa<j-r]s) du philosophe. A la meme cate- gorie appartient ce que S. Cyrille [Contre Jidien, 6) a extrait de YHistoire philosophi que de Porphyre, livre aujour- d’hui perdu : a savoir que Socrate et ait violemment pousse aux choscs de ia- mour, mais qiiil s’abstint de faire tort a (i) Voyez ce que l’on dit plus bas des marques du « mauvais cheval Socratique. » 8 SOCRATE (quam diu caelebs esset) communibus uteretur. Nondum quidquam ex Por- phyrio vel Aristoxeno, quem ille aucto- rem sequitur, allatum est de horribili scelere, Pcederastia : quod praetermissu- rus non erat, qui satis hic in Philosophice parentem iniquus est, Cyrillus. Decla- mat igitur praeter rem Socrates alter (Hist. Eccles. 3, 23, p. i gj, D), cum ita de Porphyrio narrat, IIopcpupio; xou xopu^aio- xaxoa xoiv <piXoao<ptov, Scoxpaxous, xov [3''ov oietu- psv £v ifi YsypaixpiEvr] auxai <piA oaoow toxopta, xai xoiauxa Tuept auxou ypa^a;xaxdXi7TEv, oia av p.7]xs MeTaxo;, p.r[x£ v Avuxo; oi jpa^aixsvoi Swxpaxrjv ItTictv e-zyjiprjGxv, ita traductum, ait, a Porphyrio Socratem, talia de viro scripta, quae neque accusatores ipsius Anytus et Melitus dicere in ipsum ausi sint. Acci- pimus, quod negat objectam in judicio turpitudinem talem Socrati, quo nempe argumento constet, famam viri hac tum macula caruisse. Sed nec a Porphyrio plura aut turpiora his memorata, quae jam vidimus, satis illud argumento est , quod iniqui Socratis glorice homines, 9 ET L’AMOUR GREC personne, en riusant jamais que de ses propres femmes ou , durant son celibat, des femmes qui apparticnnent a tout le monde. Nulle part, soit chez Porphyre, soit chez Aristoxene que Porphyre co- piait, il n'est rien allegue de cet horrible crime : Pederastie ! II ne Paurait point passe sous silence, ce Cyrille si injuste envers lepore de la Philosophie. IPautre Socrate ( Histoire ecclesiastique, m, 23 ) avance donc une insigne faussete lors- qu’il dit : « Porphyre a compose la vie de Socrate, le coryphee des philosophes, d’apres les histoires ecrites sur lui ; et il nous a transmis, d Vaide de ces docu- ments, des choses si monstrueuses que les accusateurs de Socrate, Anytus et Meli - tus, n’ont pas meme ose' les lui reprocher. » Retenons seulement de ceci Taveu qu’on n’en fit pas un grief a Socrate, lors du jugement public, ce qui ressort de la phrase elle-meme, et que cette tache fut alors epargneeT a sa renommee. Mais Porphyre n’a pas rapporte autre chose ou des choses plus monstrueuses que ce IO SOCRATE Cyrillus ac Theodoretus, non plura pro- tulere, quibus fuerant haud dubie cau- sam suam , si res facultatem dedisset, ornaturi. 3. Nempe nec Aristophanes , qui cor- ruptce ad impietatem et calumniandi ar- tem juventutis accusat in Nubibus Socra- tem . hujus criminis ullam mentionem facit , non omissurus profecto , si illud adhaerescere posse putasset. Nec forte quisquam est ex omni antiquitate remo- tiore illa, et temporibus Philosophi pro- pinqua . , serius et severus accusator hujus criminis. Lusit inter posteriores, pro petulanti illo ingenio suo, Lucianus (de CEco, ita enim potius dicendus erat ille libellus quam de Domo, c. 4 , T. 3, p. ig 2 , 83) cum accusat Socratem, qui non erubuerit advocare Musas, virgines, cuvsaojjiva; ia -aiBepaama, ut audirent illos de puerorum amore sermones. At- qui illi sermones, uti mox videbimus. ET l/AMOUR GREC 1 I que nous venons de dire ; nous en trou- vons la preuve en ce que S. Cyrille et Theodoret, deux detracteurs de Socrate, n’en ont souffle mot, et qu’ils n’auraient pas manque d’en orner leurs diatribes si la chose eut ete possible. 3 . En second lieu, Aristophane qui, dans ses Nuees , represente Socrate comme un corrupteur de la jeunesse, comme faisant de 1’imposture un enseignement, n’a pas davantage mentionne cette accu- sation; l’aurait-il omise, si elle eut pu s’appliquer a Thomme qu’il bafouait? II n’y a enfin personne, si l’on prend des temoins dans cette antiquite reculee ou dans les temps voisins du Philosophe, qui se presente comme un accusateur serieux et digne de foi. Plus tard seule- ment Lucien, entraine par sa verve moqueuse (dans 1’opuscule que l’on tra- duit ordinairement De Domo et qu’il vaudrait mieux traduire De CEco , chap. iv), reprocha a Socrate de n’avoir pas rougi d ; invoquer les Muses, des 12 SOCRATE reprehendant vehementer amorem : re- spicit enim ad Phcedrum Platonis (p. 340 , G) de quo dedita opera dicendum erit. Qua ? in Amoribus (c. 24. To. 2. p. 424 , go) in Socraticum amorem Platonicum- que vel a Luciano, vel quicunque auctor est, jocose et per calumniam dicuntur, ea ad ipsum illum locum diluisse me arbitror . 4. Sed veterum criminationes Maxi- mus Tyrius ( Dissertat . 2S. 26. et 27 al. g. 10. 11) refutavit, ut non videatur opus esse aliquid addi : cum praesertim tanto magis et agnoscant innocentiam Socratis, et illud crimen ab illo depel- lant ut hujus, ita paullo superioris aitatis homines, quo magis virum ex aequalium ac paullo juniorum de illo scriptis ut cognoscere possent, cuique contigit. Quin ne consultum quidem judicarem veterem litem resuscitare , nisi viderem, nuper et l’amour grec i3 vierges, pour leur faire dcouter ces fa- mcnx discours sur Vamour des jeunes gargons. Mais ces discours, comme nous allons le voir, blament fortement cette sorte d’amour; Lucien fait, en effet, allusion au Phedre de Platon dont nous aurons a nous occuper. Ce que Fon dit debamourSocratiqueet Platonique dans les Amonrs , que ces dialogues soient de Lucien ou de tout autre, n’est qu’une plaisanterie ou une mechancete, comme je\ l’ai demontre en temps et lieu (i). 4. Maxime de Tyr ( Dissertations 25 , 26 et 27) a d’ailleurs refute toutes les ac- cusations portees a ce sujet par les an- ciens, etilserait inutile d’y rien ajouter. Le meilleur argument, c’est que ceux qui ont le mieux reconnu Tinnocence de Socrate et repousse loin de lui avec le plus de force 1’accusation infame, sont les hommes de la generation qui a imme- (1) Dans ses notes sur Lucien, dont il a fait une edition et une traduction Latine tres-estimees. (Note du Traducteur.) H SOCRATE fuisse, et esse hodie homines eruditos, et bonos viros, qui pravam de patre illo Philosophia ? opinionem conceperint, quo- rum non pono nomina, quia mihi non cum ullo homine certamen esse volo, sed cum opinione ea, quam praeterquam quod falsam puto, etiam virtuti noxiam , praeter consilium quidem bonorum viro- rum, humanitati certe adversam esse, arbitror. 5. Qui autem fieri potuit, ut homines neque indocti neque maligni in sinistram falsamque de Socrate opinionem incide- rint? ut apologia vir sanctus opus habeat? Praeter naturalem illam -/.axor{0£tav nos- tram, quae imis velut medullis fixa , et superbiae illius nostrae nixa radicibus. et l’amour grec i5 diatement suivi la sienne. Or, ce sont les contemporains et leurs successeurs immediats qui peuvent le mieux juger un homme, en pleine connaissance de tout ce qu’on aecrit sur lui. Je n’aurais donc pas songe a ressusciter cette vieille que- relle si je n’avais vu naguere, et tout recemment encore, des hommes instruits, vertueux, concevoir la plus mauvaise opinion de ce pere de la Philosophie ; je ne dirai pas leurs noms, ne voulant me prendre corps a corps avec personne, mais seulement avec une opinion que je considere comme sans fondement, nuisible a la vertu, et, contrairemcnt a 1’avis de ces gens de bien, defavorable a 1’humanite tout entiere. 5. Comment donc a-t-il pu se faire que des personnages qui ne p£chent ni par ignorance ni par mechancete, aient concu de Socrate une opinion si facheuse et si fausse? Pourquoi cet homme veri- tablement saint a-t-il besoin d’etre de- fendu? En dehors de cette maligni te i6 SOCRATE inter ultima vitia eradicatur, ceterasque ex genere morum rationes, conveniunt hic alia qucedam , quce facilem errandi occasionem praebent. Magna pars docto- rum etiam hominum legendi laborem fugit, legendi uno tenore, continuata attentione , totos veterum scriptorum libros; sed satis habet decerpere quce- dam, in quce primum incurrere oculi, aut, quod deterius frequentius que idem, repetere ab aliis excerpta, et e media nonnunquam sermonum velut compage evulsa, de quorum sic sententia non facile sit judicare. Platonis libri , unde pleraque Socratica peti hodie necesse est, multos arcent ob Atticum illud sermonis genus, breve et acutum, floridum praeterea, ac semipoeticum, ipsamque disserendi ratio- nem subtiliorem scepe, quam ut mediocri attentione, non acutissimi homines illam statim adsequantur. Nec licet , ut adhuc res est, ad interpretes confugere ; qui quoties vel nihil dicant, vel alia omnia dicant, vix sine invidia licet commemo- rare. Et tamen nisi attente legas, et to- ET L.’AMOUR GREC '7 naturelle qui reste fixee jusqu’au fond de nos moelles, qui se fortifie de notre or- gueil et qui ne s’arrache qidavec les der- niers defauts, outre encore diverses rai- sons tirees de nos mceurs, il a fallu pour cela un concours de circonstances pro- pres a faciliter 1’erreur. La plupart des gens instruits eux-memes evitent la fa- tigue de lire dans leur entier, avec une attention soutenue, tous les livres ecrits par les Anciens ; on a plus tot fait de choisir quelques passages, les premiers qui tombent sous les yeux, ou, ce qui est bien pire, de s'en tenir aux passages choisis par d’autres, a des fragments de- taches de 1’ensemble et dont il est par consequent difficile d’apprecier le sens veritable. C’est ce qui arrive des livres de Platon, d’ou il nous faut aujourd’hui tirer toutc la doctrine Socratique ; iis embarrassent bon nornbre de lecteurs par leur style trop Attique, raffine et aiguise, fleuri pourtant et semi-poetique, par ces controverses si subtiles souvent que, si 1’attention se relache, 1’esprit le i8 SOCRATE tos legas dialogos, et qua scripti sunt lingua legas, non est ut de sententia illorum, h. e. quam tribuat Plato sen- tentiam Socrati, recte judices. Quare mirum non est, si multi refugiant lectio- nem ita laboriosam ; et illis veluti spinis a familiari tractatione eorum librorum deterreantur . 6. Denique si quid etiam tribuatur a Platone Socrati, tamen, si illud Xeno- phontis narrationi repugnet, non dubi- taverim equidem, fidem potius adhibere Grylli filio, memor illius, quod narrat Laertius 3, 35, Socratem , cum Lysin Platonis legisset, dixisse , to; tzoXKx uoj ET l/AMOUR GREC 19 plus eclaire n’cn suit pas aisemcnt le fil. Et il serait inutile, dans le cas present, de recourir aux annotateurs ; ou iis ne disent rien, ou iis disent tout autre chose que ce qu’il faudrait ; on ne peut s’empecher de leur en faire un re- proche. Cependant, amoins de lire avec un soin scrupuleux tous les dialogues de Platon et de les iire dans la langue meme ou iis ont ete ecrits, il n’est pas possible de juger saineinent de leur doctrine, c’est-a-dire de la doctrine que Platon attribue a Socrate. Il n’est donc pas sur- prenant que nombre de gens reculent devant une si laborieuse lecture et soient rebutes, comme par des epines, du commerce familier de ces livres. 6. Enfin il faut dire que si Platon at- tribue a Socrate une maniere de voir contredite par la narration de Xenophon, il n’y a pas a hesiter : c’est a Xenophon qu’il faut se fier, si l’on se souvient du mot rapporte par Diogene de Laerte (ui, 35). Socrate, apres avoir lu le Lysis 20 SOCRATE xaxe^uBeO’ 6 veavfoxo; ; Quam multa de me mentitur adolescens! Tanto magis hoc memorabile est , quod ille Dialogus ita scriptus est, ut non modo tanquam per- sona colloquens inducatur Socrates, sed tanquam, qui ipsum illum dialogum scripserit. Ceterum quia hic sumus, hoc breviter indicamus, amatorium quidem esse hunc libellum , sed nihil habere pu- dendum ne Platoni quidem. Argumen- tum hoc est : Queritur Lysidis amator Hippothales, ab illo se non amari ; So- crates ostendit, si velit amari, non adu- landum esse puero, sic enim futurum superbiorem ; sed illi potius ostenden- dum, quibus rebus indigeat, et quam parum in ipso sit boni (i). Deinde dela- bitur in disputationem, Quis proprie amicus sit vocandus? et, In quo insit natura amicitia’ ? plenam illam quidem cavillationum , sed praeclararum etiam de amicitia sententiarum. Ceterum tri- (i) Sic nempe ipse solebat Socrates in potestatem quasi suam redigere adolescentulos, de quo que- rentem audiemus Alcibiadem. § 3~. ET L’AMOUR GREC 2 I de Platon, se serait ecrie : « Comme ce jenne homme invente souvent ce qu’il me fait dire! » Le mot est d’autant plus remarquable que, dans ce dialogue, So- crate estpresente non comme un simple interlocuteur, mais comme s’il avait ecrit lui-meme tout le morceau. Pen- dant quenous y sommes, disons brieve- ment que cetouvrage roule sur 1’amour, mais qu’il n’y a rien dont put rougir Platon lui-meme. Voici le sujet : Hip- pothales, qui aime Lysis, se plaint de ne pas en etre aime; Socrate lui demontre que s’il veut 1’etre, il ne faut pas qu’il fiatte ce jeune homme, ce qui le rendrait plus orgueilleux encore ; il vaut mieux qu’il lui represente tout ce qui lui man- que et le peu de bonnes qualites quhl possede (i). On discute ensuite ces ques- tions : Qui est digne d’etre appele un ve- ritable ami? et, Quelle est la nature de Tamitie? Controverse pleine, il est vrai, (i) C’est ainsi que Socrate avait en effet coutumc d’assujettir les jeunes gens & son autorite, et nous voyons Alcibiade s’en plaindre. § 37. 22 SOCRATE bui a Platone colloquentibus, de quibus ipsi non cogitarint, vetus observatio est , de qua vid. Athenaeus Deipnos. i, i / ad fin. p. 5 o 5 . Qiio dialogorum more se excusat, etiam Varroni in Academico- rum dedicatione Tullius. Neque ausim Platonis ipsius, junioris praesertim, pa- trocinium suscipere de mollioribus versi- culis, quos Apulejus servavit (Apol. p. 279 sq.) et Laertius Diogenes ( 3 , 2g) : de quibus modo in neutram partem dis- puto, causamque Platonis a Socratis causa hac in re sejungo. 7. Quaecunque vero cum aliqua specie testimonia Platonis contra Socratem pro- feruntur, ea cum ex Phaedro, nescio quam bona semper fide, corrupte quidem et perverse non nunquam, depromi vi- deam, propter ea pretium opera* putavi, ET L’AMOUR GREC 23 de futilites, mais aussi de remarquables definitions dePamitie. C ; est uneobserva- tion qui a ete faite depuis longtemps, que Platon attribue a ses interlocuteurs des idees qu’ils n’ont jamais eues : on peut consulter la-dessus Athenee ( Dei - pnosophistes i, ii). Ciceron, qui avait le meme defaut, s’en excuse sur le genre meme du dialogue , dans son envoi des Academiques a Varron. Je n’ose pas non plus defendre Platon du reproche d’avoir commis, surtout dans sa jeunesse, des vers badins tels que ceux que nous ont conserves Apulee (dans son Apologie) et Diogene de Laerte (m, 29); vieux ou jeune, jen’ai pas affaire a lui et je separe completement sa cause de celle de So- crate. 7. Entrelesdiverstemoignages fournis par lui, ceux que Ton peut alleguer con- tre Socrate avec quelque apparence de justesse sont tires du Phedre ; pas tou- jours bien scrupuleusement et quelque- fois a 1’aide d’alterations ou de contre- 24 SOCRATE non semel totum illum dialogum attento animo perlegere , et uno quidem tenore , et lingua sua, ne quid eorum me falleret, qua • saepe fraudi esse viris doctis, modo dicebam. Ac spero non ingratum fore aliis, quorum rationes non ferunt tam longam solicitamque operam, si hic pos- sint brevi studio cognoscere velut oecono- miam illius libri et argumentum, inde- que de toto consilio vel Platonis vel Socratis arbitrari. Concedamus enim, ne abuti videamur illa, quam modo propo- suimus observatione, Socratis hic veram sententiam bona fide a Platone proponi. 8 . Ac primo illud meminerimus, So- cratem hic (p. 340, E) introduci senem, tantum non decrepitum, quem facile ju- venis Phaedrus viribus superet. Jam fingitur Phaedrus audisse Lysiam dispu- tantem, magis obsequendum gratifican- dumque esse non amanti, quam amanti : camque orationem Socrati prcelegere ET L AM0UR GREC 25 sens. Cest ce qui m’a engage a lire attentivement ce dialogue, et plutot deux fois qu’une, dans son entier, et dans le Grec, afin d’echapper a ces chances d’er- reur dont j’ai parle plus haut et qui font trebucher les plus doctes. II sera peut-etre interessant, je 1’espere, pour ceux dont 1’esprit repugnerai-t a une besogne si longue et si difficile, de connaitre sans grande etude le sujet et pour ainsi dire 1’economie de ce livre, et de pouvoir apprecier toute la theorie de Platon ou de Socrate. Nous admettrons, pour ne pas abuser de la reserve faite par nous plus haut, que la doctrine de Socrate a ete ici exposee de bonne foi par Platon. 8. Rappelons d’abord que Socrate y est presente comme un vieillard, non pas tout a fait tombe en decrepitude, mais qu’un jeune homme, comme Phe- dre, peut maitriser aisement. Phedre ra- conte qu’il a entendu Lysias discourir sur cette question : Un jeune homme doit-il avoir plus de facilite et de com- 3 SOCRATE 2b (a p. 338 , C. ad 33 g, G). Reprehendit hanc Lysiae orationem , cante quidem et multa cum ironia Socrates , et meliora se audisse ait , quae dicere illum amabilis- sime cogit Phcedrus. Incipit hic a Musa- rum invocatione (p. 340 , G) quam calum- niatur, ut modo dicebamus 3 ), Lu- cianus : cum sit nihil in ea oratione non virginum auribus dignissimum. Orditur a definitione Amoris (p. 341, D) quem vocat cupiditatem , quae incitate feratur ad voluptatem ■ pulchritudinis, et inde, quam mala res, quam noxia sit, ostendit (ad p. 342, F) et claudit hexametro : A'j-/.ol aova oi^ouV, ojq ~aToa epAouVjtv 1 r’ 1 ! |Sf/aTra’.. Ut cordi agna lupo est, puerum sic ardet amator. 9. Bene ista , et Musis faventibus. Sed subito, At Amor tamen Deus est, inquit , et palinodiam parat , quae incipit (p. 3 43 . ET LAMOUR GREC 2 7 plaisance pour celui qui ne 1’aime pasque pour celui qui Faime ardemment ? II lit ensuite ce discours a Socrate. Celui-ci, avec beaucoup de finesse et ddronie, trouve a blamer dans la composition oratoire de Lysias et pretend qu'il a en- tendu dire la-dessus autrefois de bien plus belles choses; Phedre le conjure de les lui rapporter. Socrate debute alors par cette invocation aux Muses que Lu- cien a calomniee, comme nous le disions plus haut, car il n’y a rien dans tout le discours qui ne soit parfaitement digne des oreilles chastes. II commence par la definition de 1’amour, qu’il appelle un desir violemment entraine vers le plaisir que promet la beaute ; il enumere en- suite les ecarts auxquels il peut pousser et conclut parcet hexametre : Comme le loup aivic Vagneau , ainsi Vamoureux [cherit le jeune garcon. 9. Voila qui est bien, grace aux Muses. Mais aussitot : L’ Amonr est cependant un Dieu, s’ecrie-t-il ; et il entrcprend une 28 SOCRATE F) ab eo, uti dicat, non ideo amorem damnandum fuisse, quod sit furor ; esse enim furorem etiam bonum aliquem : ipsam [jLavTixrjv 5. divinatoriam facultatem esse a verbo [i-aiveaOai dictam , velut quan- dam [j.avi/7]v s. furiosam. Talis furoris plura genera enarrat , in his etiam ponit amorem, cumque (p. 344, C ) magnae felicitatis causa tum amantis cum amati datum his esse divinitus, conatur osten- dere. Ad eam demonstrationem sumit primo hanc propositionem. Omnem ani- mam esse immortalem, quam inde pro- bat (quam bene vel male , nunc non dis- putamus) quod principium motus sui in se habeat. 1 0 . Deinde similem ait animam no- stram, etiam antequam ea in corpus ve- niat, bigae alatae cum suo auriga. Alte- rum hujus biga 3 equum bonum ponit et tractabilem (ibid. E), malum alterum ac refractarium. Sic coelestia spatia ingre- diuntur ista • cum suo auriga bigce, et ET l’aMOUR GREC 2(J palinodic en declarant tout d’abord que 1’amour n'est pas condamnable en soi, qu’il estun delire, et que dans tout delire il y a quelque chose de bon ; que fxavnxr], la divination, derive du mot (jiodveaGai, comme qui dirait [xavtxr), c’est-a-dire folle. II compte diverses especes de delires parmi lesquelles il place 1’amour, et il s’efforce de montrer que c’est un present divin fait a bhomme pour le plus grand bonheur de celu*i qui aime et de celui qui est aime. Sa demonstration s’appuie sur cette proposition premiere: Tonte dme est immortelle, dont il tire la preuve (bien ou mal, ce n’est pas notre affaire) de ce qu’elle a en soi le principe de son mouvement. io. Il compare ensuite notre ame, avant qu’elle ne vienne habiter un corps, a un attelage aile, compose de deux chevaux et d’un cocher. L’un des chevaux est excellent et docile ; 1’autre, d’un mauvais naturel et retif. L’attelage parcourt ainsi les espaces celestes, avec 3 . 3o SOCRATE Deorum aliquem secutce (Socratis anima Jovem , p. 846 , D) ea spatia permeant. In hoc volatu et illa equorum dissimilium dissensione, alia; quidem anima; retinent alas, et ad sublimia feruntur, contem- plantur que ea etiam, qua; extra supre- mum coeli orbem sunt (p. 345 , B). Alia;, qua; partim in altum elata; viderunt plu- ra, partim ab equo illo refractario impe- dita; ac retractae, pauciora ; ruptisque per illam equorum in diversa tendentium luctam pennis atque amissis, cadunt, et in corpora humana veniunt. 1 1 . Harum, pro gradu cognitionis illius et inspectionis rerum coelestium diverso, novem classes constituit (ibid. F). Qua plurimum veritatis et rerum coeles- tium vidit anima, ea inseritur semini, e quo nascatur aliquis sapientias, pulchri, doctrinas, et amoris studiosus, st? yovfjV et l’amour grec 3 I son cochcr, et s’elance a la suite de l’un des douze dieux ( 1 ’ame de Socrate sui- vait Jupiter). Dans cette course a travers les espaces et malgre la lutte des deux chevaux, si dissemblables, quelques ames parviennent a garder leurs ailes, voya- gent dans les regions etherees et con- templent meme ce qui est au dela de la voute du ciel. Les autres, parfois em- portees jusqu'aux plus hautes regions, parfois retenues et embarrassees par le cheval retif, n’arrivent qu’a connaitre une partie des mysteres ; dans cette lutte des chevaux qui tirent en sens inverse, elles brisent et perdent leurs ailes ; ces ames tombent alors sur terre et sont emprisonneesdans les corps des hommes. 1 1 . Suivant le degre de connaissance qu'elles ont atteint dans la contempla- tion des essences, Socrate divise en neuf classes ces ames dechues. Celle qui a per9u le plus de verite et de choses sublimes, vient animer le germe d’ou naitra un homme tont entier consacre au 32 SOCRATE avopo? ycV7]ao[j.c'vO’j ? oiXoao^ou, 7) <pt\oxaXou, tj fi.ouaixou Ttvos, x at spamxoy. Secundi fastigii anima animabit regem, legibus, bello, imperio, potentem : tertiae classis anima civitatis familiaeque regendae et rei fa- ciendae peritum : quartae, laboris aman- tem eundemque in exercendis sanan- disve versantem corporibus : quinti ordinis animae vitam habebunt in vati- cinando, aut in castimoniis initiisque mysteriorum occupatam : sexti, poetas : septimi, geometras aut fabros : octavi sophistas aut cum factione populares : noni denique animabunt tyrannidis cu- pidos. Multa hic nec injucunda de hoc ordine , de his vitee generibus, disputandi occasio : sed maneamus in argumento nostro. 12 . Ha’ omnes anima?, cum morte dis- cesserunt a corporibus, in locum vel pce- 33 ET L’AMOUR GREC culte de la sagesse, de la beaute , de la Science et de Vamour ; Vdme du second degre vivra dans le corps d’un roi juste , belliqueux et capable de commandere celle du troisieme fonnera un homme habile a administrer sa famille, sa cite ou la chose publique ; celle du quatrieme un athldte laborieux ou un medecin, tous deux occupes soit d exercer le corps humain , soit d le guerir ; les ames de la cinquibme classe passeront leur vie , soit d predire 1’avenir, soit d initier aux abstinences et aux mysteres ; celles de la sixieme former ont des poetes ; celles de la septieme , des laboureurs ou des ou- vriers,- celles de la huitieme, des sophistes ou des chefs de factions populaires ; celles de la neuvidme, enfin, des tyrans. Ce serait peut-etre 1 ’occasion de dispu- ter, et non sans agrement, des rangs assignes a ces ames et de leur genre de vie : mais restons dans notre sujet. 1 2.Toutes ces ames,quandle trepas les a separees du corps, parviennent au sejour SOCRATE 34 narum vel pr cerni orum perveniunt, et mille exactis annis, accipiunt potesta- tem eligendi sibi nova corpora , vitas novas, sive hominum sive bestiarum . Quce anima ter sibi, exactis millenis illis annis, primam istam sedulo philoso- phantis, sive pueros cum philosophia amantis, vitam delegerit (p. 3g5, G) tou <ptXocrocprjaavto; aooXc. 05, r] "atospaaxrJcjavTO; [j.£xa <ptXoao<p''a;, ea, absoluta ista ter mille annorum periodo , pennas denuo accipit, quibus ut ante tolli, deum aliquem sequi, contemplari coelestia , queat : cum reli- quarum octo classium animae, non nisi decies mille annorum periodo absoluta, in primam illam conditionem restituan- tur. Hoc ipsum quod primam et felicis- simam classem Paederastarum philoso- phantium constituit, quod tantum prae- mium illis, compendium septies mille annorum, tribuit Mythi hujus s. Allego- ria ? auctor, sive Socrates fuit, sive Pla- to ; hoc ipsum igitur jam satis monere nos poterat, non posse hic sermonem esse de re ita turpi , quam fuisse illud, cujus ET LaMOUR GREC 35 des peines et des recompenses, et au bout de mille annees, recoivent la permission de choisir de nouveaux corps, soitd’hom- mes soit de betes, et de vivre de nou- velles vies. L’ame qui, durant trois revo- lutions de mille annees, trois fois de suite a choisi Texistence d’un homme quicultive sincerement la philosophie, ou qui aime les jeunes gens d'un amour philosophique , a 1’expiration de cette triple periode, recouvre les ailes qidelle possedait autrefois et peut, comme au- paravant, suivre l’un des dieux et con- templer les essences celestes. Les huit autres classes ne retournent a cette con- dition premiere qu’apres une revolution de dix mille annees. Ainsi la premiere classe et la plus heureuse est celle des philosophes amis des jeunes gens, et l’in- venteur de ce mythe ou allegorie, que ce soit Socrate ou Platon, la favorise d’une exemption de sept mille annees : cela seul nous avertit assez qu’il ne peut etre question ici de ce vice infame dont on accuse Socrate et que d’ailleurs les 36 SOCRATE postulatur Socrates, ipsis etiam legibus Atticis, paullo post ostendemus : sed ma- gis hoc apparebit, si quis ea, qu ce sequun- tur, apud Platonem paullo attentius considerare mecum voluerit. i 3 . Intelligentia hominum , ex pluribus rebus sensu perceptis collecta, nihil est aliud, quam recordatio illorum, quae anima in illo volatu suo coelesti viderat, quae sola verum illud ens sunt (t 6 ov-co; ov, p. 346, A). Haec intelligentia maxima est in illa prima philo sophantium paede- rastarum classe : haec ipsa est, ob quam alas soli recipiunt, quibus volatum illum coelestem, deorumque comitatum tentant : prae qua terrena hcec, et sensus externos ferientia, ita negligunt, ut male sani aliis et furiosi videantur, icocpa -/.ivouvts?, quos commotos s. commotce mentis vocat Horatius (Serm. 2, 3 , 2og et 278), cum re vera divino quodam spiritu agi- tentur, svOouaux^oviss, qui illos semper ad coelestem illam pulchritudinem revocet, quam in priore volatu viderant. ET L AMOUR GREC 87 lois Athenicnnes reprimaient, comme je le demontrerai tout a 1’heure ; cela de- viendra plus evident encore pour qui voudra bien examiner attentivement avec moi ce qui suit dans Platon. i3. L’intelligence humaine est formce de la reunion des idees percues a l’aide des sensations, et les idees ne sont rien autre chose que les reminiscences de ce que 1’ame a vu anterieurement dans son vol celeste, c’est-a-dire des essences veritables. Or 1’intelligence la plus com- plete appartient a la premiere classe, a celle des philosophes amis zeles des jeunes gens, et c’est pourquoi seuls iis recouvrent les ailes a 1’aide desquelles iis pourront essayer de nouveau de par- courir le ciel et suivre le cortege des dieux. Detaches des soins terrestres et de tout ce qui frappe les organes, iis pas- sent pour des insenses et des hommes en delire, -apa/ivoSvis?, de ceux qu’Horace appelle des fren^tiqucs, des esprits trou- bles, tandis que vraiment ce sont des en- 4 38 SOCRATE 14. Haec pulchritudo , qucc inest in sensu, <ppov 7 ]<m (p. 846, E), in mentis qua vult et intelligit prostantia, si ita in oculos, ut alia quce videri his possunt, incideret , ad mirabiles sui amores exci- tatura esset. Jam pulchritudo sola corpo- rum, hanc (Aotpav habet, hoc velut fatum, et conditionem , uti subeat oculos, ut amo- rem moveat. Hinc ponamus ipsa verba , ut existimare melius ac certius de tota re possint etiam, quibus ad manus non est Plato ipse, vel magnum volumen de pluteo promere non lubet. c O piv oOv pu] vsoxeXt];, ■Jj otscpQappivos, oux otjiiog evOevOs Exstas ©s'psxat 7ip6; auxo xo xaXXo;, Ostopisvo; a3xou xrjv xrjoE smavupiiav. waxs ou as'6sxat 7rpoaopojv, aXX’ 7]3ov^ 7:apaoou;, zBzpdtTzodog vo ptco (Batvstv S7Ct- y stpsT xat 7iat8oa7EOpstv. xal u6pst x:poao|j.tXaiv, ou os'ootxsv ou 8’ ata/uvsxai IIAPA ‘I^TXIIN ( 1 ) (1) Notabile est, Platoni etiam de Ijcgib. r . ET LAMOUR GREC 3y thousiastes, agites comme d’un transport divin, qui les attire sans cesse vers cette beaute celeste precedemment entrevue par eux dans leur vol. 14. Cette beaute, dont Pessence reside dans un sens particulier, la sagesse, source de la volonte et de 1’intelligence, s’il etait donne a l’oeil de 1’apercevoir, comme toutes les autres choses visi - bles, elle nous exciterait a d’admirables amours. Mais c’est seulement la beaute corporelle, telle est sa necessite fatale et sa nature, qui frappe les yeux et nous porte a 1’amour. Ici nous placerons le texte meme afin que ceux qui n’ont point Pla- ton sous la main ou qui ne se soucient pas de tirer du rayon un gros volume, puissent se faire une opinion en toute p. 56g, E. hanc turpitudinem appsvwv np 6? appevag, Ij OrjXsTwv xpog OrjXsix;, to ITAPA •bTSIN To'X[j.7)p.a appellari. Non igitur Plato- nem , vel Socratem adeo, feriunt divina illa ful- mina Pauli Rom. /, 26 . sq., ut neque ea, qua ? in idolatriam vibrantur. 40 SOCRATE f,5ov7]v 0 -W.ojv. '0 8e apttteXrj?, 6 twv xdxe TroXuGcapojv, oxav OsoEtSsg r.poaioTzov' t07), -/.aX- Xo; eu [j.E[j.vr ( [x£vov rj uva ac;o$fj.axo ios'av — oj? Geov a£'6sxai. Hcec ita verto, Hic ergo, qui non est nuper illis mysteriis coeles- tibus in illo volatu animarum initiatus, aut, initiatus cum esset, corruptus est, non celeriter, ut oportebat, hinc, ab hac corporea, non vera, pulchritudine, illuc fertur ad ipsam veram, coelestem pul- chritudinem, cujus hic videt nomen, umbram , similitudinem : itaque neque inter adspiciendum eam, divinum quid- dam colit : sed libidini se tradens, qua- drupedis ritu inscendere formosum co- natur, et genitale semen profundere, et cum contumelia (vid. ad §. 18) congres- sus formoso corpori , non veretur, nec erubescit PRXETER NATURAM libidi- nem persequi. At ille nuper initiatus, qui multa eorum quae tum videbat , contemplatus est, ubi vultum divino similem conspexit, qui pulchritudinem illam veram bene imitetur, aut incor- poream quandam illius speciem, verbo , ET L’AMOUR GREC 41 certitudc. « L’homme qui n’a pas un « souvenir recent de son initiation aux « mysteres, ou qui, recemment initie, « s’est laisse depraver, ne s’eleve pas fa- « cilement, comme il faudrait, de cette « beaute corporelle, qui n’est pas la « vraie, a cette beaute celeste, absolue, « dont il ne rencontre ici-bas que le nom, « 1’ombre, la ressemblance ; en 1’aper- « cevant il n’y respecte rien de divin. « Entraine par la volupte, il se precipite, « comme une brute, sur 1’objet de ses « desirs, ne cherche qu’a genitale semen « profundere et, outrageant ce beau « corps qu ? il etreint, il n’a pas honte, il « ne rougit pas de poursuivre un plaisir « contre nature ( 1 ). Au contraire, l’hom- « me, encore plein des saints mysteres « qu’il a longtemps contemples autrefois, (1) 11 est remarquable que Platon, meme dans ses Lois, appelle crime contre nature le commerce hon- teux marium cum maribus, et feminarum cum fe- minis. Les foudres de Saint Paul ( Ep . aux Rom. 1. 26) n’atteignent donc ni Platon ni Socrate, pas plus que celles qu’il lance contre 1’idolatrie. 42 SOCRATE virtutem speciosam : — Dei instar colit. i5. Deinde enarrat pheenomena quae- dam hujus sancti et philosophici amoris , similia, ex parte Venerei, et quomodo illa ' alce, quas amiserat anima , hinc de novo crescant, sub Allegoria perpetua describit, qua nihil aliud tandem indicat , quam enthusiasmum quendam , et injec- tam divinitus philosopho cupiditatem versandi cum pulchris, h. e. ingenio vel forma potentibus, adolescentulis : quos nempe captabat Socrates, qui sciret , cum facilius sit formare ad sapientiam et virtutem hanc aetatem, tum hos esse, a quibus futura civitatis fortuna pendeat. Hinc est quod se venari pulchros non dis- simulabat (vid. Protagora > principium , frustra reprehensum Cyrillo contra Julia, i, 6, p. i8j, A), quod Xenophon- tem baculo etiam transverso objecto et l’amour grec q'3 « en presence d’un visage presque divin « ou d’un corps dont les formes lui rap- it pellent 1’essence de la beaute, c’est-a- « dire 1’essence de la vertu, adore comme « en presence de la divinite. » i5. Platon retrace ensuite quelques- uns des phenornenes de ce saint et phi- losophique amour, parfois peu different de l’autre; il montre aussi comment re- poussent les ailes autrefois perdues par rame. C’est une allegorie perpetuelle dont la conclusion est que le philosophe con^oit, par une sorte de grace divine, le plus fervent desir de vivre au milicu des beaux adolescents distingues par la perfection de leurs formes ou par leurs dispositions naturelles. C’est ceux-la, en effet, que Socrate ambitionnait de gagner , sachant qu’il est facile, a cet age, de les tourner au bien et a la vertu, et que c’est d’eux que dependent les futurs des- tins de la Republique. II appelait cela prendre les beaux garcons dans ses filets (voyez la-dcssus le commencement du. 44 SOCRATE velut exceptum, sibi adjunxit (Diog. Laert. 2, 48). Ipsum illud hinc est , quod gymnasia , conviviaque et deambulatio- nes, quoscunque denique juvenum coetus, sequebatur, quod ludos et jocos non refu- giebat, quod se plane communem illis faciebat , nec irrideri aut peti maledic- tis refugiens. Ipsa illa ironia perpetua, quod doceri se velle simularet , certe dis- cendi causa disputare , ut accessum ad Sophistas illi dabat , ita adolescentulo- rum super bulae de se opinioni et praeci- pitantiae blandiri videbatur. Sed perga- mus Platonis Mython enarrare. 16. Philosophi illi amatores pulchro- rum non indiscretim omnes amant , sed (p. Sdy, C) quem quisque in illo coelesti volatu Deum secutus est , ejus Dei si- milem sibi quaerit amasium; qui Jovem , ut Socrates, Jovialem (Auvov x wa), Martia- lem vero qui Martem, et sic Junonios. ET L AMOUR GREC 45 Protagoras , blame a tort par Saint Cy- rille), et il se fit de la sorte un disciple de Xenophon qu’il arreta en lui barrant le passage avec son baton. Voila pour- quoi aussi il frequentait les gymnases, les banquets, les promenades, tous les lieux de reunion des jeunes gens, ne fuyait ni les jeux ni les badinages, s’en- tretenait avec tous et s’inquietait peu de preter a rire aux medisants. Cette ironie perpetuelle grace a laquelle il feignait toujours de vouloir apprendre, pour mieux enseigner, lui donnait acces au- pres des Sophistes et flattait aussi la suf- fisance et la presomption de la jeunesse. Mais achevons d’exposer le Mythe de Platon. 16. Ces philosophes amoureux des beaux garcons ne s’attachent pas indis- tinctement a tous ; selon le dieu quhls accompagnaient dans les espaces etheres, chacun d’eux choisit parmi les anciens suivants du meme dieu celui qu’il doit aimcr. L’ame qui etait, comme celle de SOCRATE 46 Bacchicos , Apollineos : et talem ubi in- ventum amare coeperint , faciunt omnia , uti Deo illi, quem ipsi secuti sunt, et cu- jus jam similitudinem quandam in ipso deprehenderunt, sibique adeo , reddant quam similimum. Ita Socrates, Jovis in illo volatu satelles, quaerit Joviales, ama- tores natura sapientiae, et natos ad im- perandum. Hactenus ergo bene res ha- bet, sancti tales Paederaslce, J elices qui sic amantur. / 7 . Sed nec dissimulanda sunt quae sequuntur apud Platonem. Redit Socrates (p. 3 -lj, F) ad superiorem illum de Ani- ma Mythum (’§. 10), quam triplicis na- turae ponit scilicet. Sunt vellit equi duo, est auriga. Equorum alter bonus, sanus, verecundus, gloria • amator , qui sine pla- gis, sola ratione auriga regitur : pravus alter, qui multum ac temere una aufera- ET L AMOUR GREC 47 Socrate, dans le cortegc de Jupiter, re- cherche un suivant de Jupiter, et ainsi des autres qui avaient choisi Mars, ou Junon, ou Bacchus ou Apollon. Des qu’ils Pont trouve, iis s’efforcent de rendre celui qu’ils aiment semblable a ce dieu dont iis retrouvent en eux-memes le caractere. Ainsi Socrate, satellite de Jupiter, recherchait pour les cherir ceux qui avaient aussi suivi ce dieu, c’est-a- dire ceux qui, par nature, etaient portes a la sagesse et a la domination. Jusqu’ici tout va bien ; de tels Pederastes sont de vrais saints, et bien heureux ceux qui sont aimes de la sorte ! 17. Mais il ne faut pas dissimuler ce qui vient apres dans Platon. Socrate re- tourne au precedent Mythe de hame qu’il a coniparee aux triples forces reu- nies de deux chevaux et d’un cocher. L’un des chevaux est bon, sam, plein de retenue et d’emulation ; le cocher le di- rige, sans avoir besoin du fouet et par la seule persuasion : 1’autre est mechant SOCRATE 48 tur , (impetu alieno potius feratur , smo judicio) dura ac brevi cervice, simus, nigri coloris, glaucis oculis, suffusus san- guine, petulantia contumeliaque gau- dens, hirsutus circa aures, surdus, fla- gello ac stimulis vix tandem concedens. Operet ? pretium videtur mali equi notas etiam Gra } ce ponere : cxoXt 65, ~oXu; eixrj a'j[j. 7 :scpopr]|j.^vo?, xpaTEpauyrjv, ( 3 payuipayrjXo?, aipLOTCpoacoro;, [xsXayypa);, yAauxop.p.a“0?, oepat- [xo;, u6p ew; xal aXa^oveiac staTpo?, zept coxa Xaaco; , xwipog , gaartyt p.S7a xdvxpwv [xdy.; UTEclXOJV . r<S\ Apposui Graeca , ut facilius judi- cari possit , probabilisne sit conjectura, in quam incidi , dum in hac equi mali de- scriptione versor. Nempe, aut vehemen- ter fallor, aut memorat hic Socrates non tam equi mali proprie dicti signa, quam sui corporis formam, quatenus vitiosum inde ingenium colligebat physiognomon ille Zopyrus. Hic enim , ut est apud Ci- ceronem (de Fato c. 5), Stupidum esse Socratem dixit et bardum, — addidit ET L ; AMOUR GREC 49 et s’emporte facilement, sans raison au- cune (c 7 est-a-dire qu’il semble dirige plu- tot par une force exterieure que par son propre jugement); il a 1’encolure courte et dure, les naseaux apiatis a la maniere du singe, le poil noir, les yeux glauques le sang le tourmente et il est toujours en rut et en querelles ; il a, de plus, les oreilles velues, il est insensible a tout et n 7 obeit qu’a peine au fouet et a 1’aiguil- lon. Il est necessaire de transcrire, dans le texte Grec, ces marques particulieres du mauvais cheval. 18. J’ai cite le texte afin qu’on puisse decider si la conjecture que me suggere cette description du cheval retif a quel- que vraisemblance. Ou je me trompe fort, ou Socrate ici retrace moins les ca- racteres d 7 un cheval defectueux que son propre portrait, dans lequel le physio- nomiste Zopyre trouvait les indices d’un naturel vicieux. Zopyre, au dire de Ciceron (Du Destin , chap. v) pretendait en effet que Socrate etait lourd et stu~ DO SOCRATE etiam mulierosum. Illud de stupore con- venire cum Homzne xpaTepau/7)v et (3payuxpa- mox declarabitur : quod muliero- sum dicebat, illud cum G6psa Ixatpop con- gruit : novimus enim quos uSp-.sxa; tum dixerit Graecia ( i ). Porro illud aipio-pd- aw-ov plane pertinet ad notationem Socra- tis, in quo cum deridetur a Critobulo (2), tum ipse suaviter sibi illudit, et in eo patulisque non modo deorsum sed in hori- qontem naribus, non minus quam in ocu- lis ultra frontem eminentibus, et labio- (1) Unum ponamus exemplum e libello, quipree manu est, Aristotelis Physignom. c. ult. p. / 18 1, E. 01 (Jisya cpcnvotjvxs; papuxovov, OSpiaxa^. Ava- tpspexat £~1 xoj; ovoj;. Physiognomones e simili- tudine vocis asinina: argumentum ducunt ad libi- dinem asininam. Conf. § 14, it. 32 . (2) Xenoph. Sympos. c. 4, § /p, Socrates ad Critobulum, formee sua: jactatorem, x; xoDxo ; w? yap /a! Ip.o 0 ' zaXXtcjjv wv xauxa v.oxt.xCv.c,, Quid istuc? quasi me quoque pulchrior esses, ita gloriaris. Ad qua: Critobulus , Nrj Ata, rj Ttavxcov SsiX7jvwv xmv sv aaxupixoh; alaytaxo; av eVtjv . Nisi te for- mosior essem, ait, essem Sileuorum, qui in Satyri- cis fabulis in scenam veniunt, turpissimus. ET L t AMOUR GREC 5i pide; il aurait ajoute : adonrtd anx plai- sirs veneriens. Pource qui est dela lour- deur, cela concorde avec 1’encolure courte et dure ; adonne anx plaisirs ve- neriens, repond a &'6peto; ItaTpo;. Nous savons, en effet, quels etaient ceux que les Grecs appelaient uSpiatat' (i). Quant a la face simiesque, cette designation s’ap- plique parfaitement au portrait de So- crate ; il y a fait lui-meme agreablement allusion en repondant aux moqueries de Critobule ( 2 ). Il avoue que toute sa beaute consiste en un nez epate et me- nafant le ciel, en des yeux saillants et (1) Contentons-nous d’un seul exemple tird du livre que nous avons sous la main , le De Physiognomia , d’Aristote : Ceux qui ont la voix forte et grave sont &6picrcai, par similitude avec Vane. De ce que la voix £tait bruyante comme celle de l’ane, les phy- sionomistes conci uaient qu’on devait avoir le tempe- rament lascif de cet animal. (2) Xenophon (Banquet, ch. IV, 19). Socrate dit il Critobule, qui vante sa propre beautd : « Quoi donc ? Tu crois etre plus beau que moi ? » Critobule lui repond : « Si je n’etais plus beau que toi,je serais le plus affreux de ces Silenes que Von voit paraitre dans les drames salyriques. » 5 2 SOCRATE rum tumore molli , pulchritudinem suam prcedicat (Xenoph. Sympos? c. 5) sicut in Platonis Convivio (vid. §. 35) Sileni s. Satyri formam Alcibiades illi tribuit : et in Tlieceteti Platonici principio Theo- dorus negat pulchrum esse Thecetetum, cum sit Socrati similis, tQ te cijxo-rjta xat to s£w twv o[j.[j.aTtov, naso simo et eminen- tibus oculis, licet minus quam Socrates utraque re sit notabilis. Nempe hcec si- gna cum haberentur, et naturales quae- dam notce, hominis libidinosi, iracundi et stupidi, non negabat illud Socrates, verum eo majoris faciendam esse Philo- sophiam ostendebat, quee tantum contra vitiosam naturam valeret. iy. Quoniam hic sumus, non injucun- dum forte fuerit lectoribus nostris in rem quasi preesentem ire, et ex artis, qualis tum erat, praeceptis, Zopyri judi- cium defendere. Vix autem opus est admoneri lectores, non hoc agi, Num veri aliquid sit in ea arte? Num ipso ET L ? AMOUR GREC 53 des levres gonflees comme un abces ; de meme dans le Banquet de Platon, Alci- biade compare son masque a celui de Silene ou d’un satyre, et au commence- ment du Theatdte , l’un des interlocu- teurs, Theodore, refuse toute grace a Theatete en disant qu’il ressemble a So- crate, qu’il est camard et que les yeux lui sortent de la tete ; que pour etre chez lui moins apparents que chez le maitre, ces defauts n’ensontpas moins sensibles. Socrate ne niait pas d’ailleurs que ces particularites physiques n’indiquassent un homme lascif, violent et d’un esprit paresseux ; il en concluait seulement en faveur de la Philosophie qui parvient a dompter un si vicieux naturel. 19. Pendant que nous y sommes, il ne deplaira peut-etre pas au lecteur d’aller plus au fond sur ce chapitre et de de- fendre les idees de Zopyre, idees basees sur des regles alors acceptees. Il nes’agit pas de savoir si cette Science est sure ; est-ce que 1 ’excmplc meme de Socrate SOCRATE 54 etiam Socratis exemplo ea refellatur, et vanitatis convincatur? sed hoc modo , quod dixi, Utrum Zopyrus ex arte, et ut oportebat, judicium de illo tulerit? Exstat in operibus Aristotelis libellus, <J>uaioyvoj[juxa inscriptus, quo superiorum hujus artis consultorum collegisse prae- cepta videtur . Hinc ea, quee ad formam Socratis, qua ? ad equi hujus mythici na- turam pertinent , huc transferamus. 2 0 . Igitur (c. 3, p. 1 1 j3, B) inter ’Avai- c07j- ou hoc est stupidi , et sensu communi pene carentis signa sunt ~'x nepl tov auysv a aap'/.oj07) 7.ocl G'j[j.7ZB7zXsj[isva x a\ auvo£ 0 £|j.£va, Ea quas adjacent collo carnosa, com- plexa et colligata, itemque cervix crassa, XGxytjkoq -ayjj;. Et (c. 6. p. I Ij8, C) Oi? Ta "£p\ ta; xXeTBoc; aug~£pi~£cppaY(x£va £<ruv, avodaQiyroL. Nonne totidem fere verbis Ciceronianus Zopyrus? Stupidum esse Socratem, et bardum quod jugula con- cava non haberet, obstructas eas partes et obturatas. Alia adhuc mala signifeat ista conformatio. Olc xpd.yrj.oc r.ayyc xai 55 ET L’AMOUR GREC ne temoigne pas du contraire ? Mais Zopyre en a-t-il tire, en ce qui concerne notre Philosophe, un pronostic judi- cieux ? II y a dans les oeuvres d’Aristote un opuscule intitule Physionomiques ou ce philosophe parait avoir recueilli les regles admises avant lui par les habiles. Nous transcrirons celles qui se rappor- tent au portrait de Socrate et au carac- tere de son cheval mythique. 20. D ? apres Aristote (chap. m), les in- dices d’un esprit lourd et presque prive du sens commun sont le gonflement des chairs qui avoisinent le cou, leur engor- gement et leur replelion- ce qu’il con- firme en disant au chapitre vi : « C’cst un signe de betise que d’ avoir 1 ’cncolure epaisse. » Zopyre, dans Ciceron, n’ex- prime-t-il pas la meme idee? Socrate, dit-il, etait lourd et stupide, parce quii navait pas le cou bien degage, que ces parties etaient cheq lui comme engorgees et obstruees. Cette conformation indi- que cncore bien d’autrcs dcfauts : la 56 SOCRATE TzlioK, 0 o 1 uo£i 8 e!'s, Crassa et plena cervix iracundos signat, exemplo taurorum : Ol? 8s [Bpayjj; ayav, irdfi ouXoi, Brevis nimium quibus est, ii sunt homines insidiosi, lu- porum instar. Talem modo vidimus illum malum equum, xpaxepauyeva et [Bpa- yuxpayjiXov. Talem nisi fallor se indicat Socrates, aut potius talem significat Plato Socratem, a natura fuisse. 21. Videamus reliqua. Equus malus Socratis est — sp\ xa wxa ).asto;, hirsutus circa aures. Libidinosi, Xayvou, apud Aristotelem ( c . 3 extr. p. 1174, C) o t xpdxoupot oaa$T?, densa pilis i. e. hirsuta tempora. Deinde (c. 6. p. 1174, C) oi xa yecXrj “aysa eyovxe; puopoi — avacpdpexai £7ii xou; ovou;. Physiognomones crassa labia stultitiae characterem faciunt, ob simili- tudinem asinorum. Quid de se Socrates (Xenoph. 1. c.) in ludicra cum pulchro Critobulo contentione? Ata 76 r.ayla. syeiv xa ylCkt], oux otst xa\ [xaXaxaSxspdv oou 'iyv.v xo csfX7]p.a; Propter labia crassa suum putat osculum mollius. Et, v Eotxa syw xaxa xov et l’amour grec 5 7 nuque epaisse et charnue denote un homme violent, par similitudo avec le taure au ; ceux qui l’ont trop courte sont ruses, par similitude avec le loup. Or, cette indication, 1’encolure epaisse et courte, figure parmi les marques du mauvais cheval. Si je ne me trompe Socrate avoue qu’il etait bati de la sorte, ou plutot c’est ainsi que le depeint Platon. 21 . Voyons le reste. Le mauvais che- val Socratique a les oreilles velues : Aris- tote designe comme libertins ceux qui ont du poil jusques sur les tempes. De plus, les physionomistes notent les grosses levres comme un indice de betise, par similitude avec 1’ane. Or que lisons- nons dans la plaisante discussion (Xeno- phon, 1 ) de Socrate avec Critobule? — « A cause de ses l&vres charnues il pense que son baiser est plus sensuel », et plus loin : « Je te par ais avoir, 6 Critobule, une bouche plus difforme que celle de Vane, avec ces bourrelets qui me tienncnt lieu de levres. » 58 SOCRATE aov Xoyov x at Ttov Ovojv aiayiov to GTOu.a lysiv, turpius os quam habent asini illum mollem labiorum tumorem habere tibi, o Critobule , videor. 22 . Simus fuit, ut vidimus, Socrates : at|jio-po'ato7:o; est malus equus. Quid Phy- siognomones, atque adeo Zopyrus ? Si fides Aristoteli (c. 6. p. iiyg, B.) 01 G'|j.7jV Eyovts; piva, Xayvor avacpspezai i~\ tou; iXa^ou;, Simi sunt libidinosi, exemplo cervorum. Patulas quoque versus nares suas, qu£e possint odores undecunque oblatos excipere, laudat sipojv Socrates Xenophonteus , pra ? Critobuli naribus humo obversis. Ot ;xev yao ao\ (xuxT7jpE; ei; yrjv opcSat, ol 8’ eijloi ava“£"tavTat, wgte tx; T:av~o0£v oGua; izpoa ov/yOou. At Physio- gnomones ( I . C.), 0:; o! p.uxT7jp£$ ava"E^"a- pL^vot, OupiojoEi;, Iracundi sunt, quorum patula? nares, quod in ira diffundi so- lent. Iracundum valde a natura fuisse Socratem, non soli credamus Cy r rillo, quamvis Porphyrium auctorem laudat , qui ab Aristoxeno se illud dicat acce - ET LAMOUR GREC 59 22. Socrate, nous le savons, etait ca- mard ; son mauvais cheval a les naseaux ecrases du singe. Quel indice en tirent les physionomistes et Zopyre ? Aristote dit : « Les camards sont lascifs, par simi - litude avec le cerf ». Socrate declare quii a les narines lar gement ouvertes , comme pour subodorer de toutes parts les parfums. Jaime mieux cela, dit-il, que d’avoir, comme Critobule , un ne^ penche vers le sol. Mais d’apres les phy- sionomistes, c’est 1’indice d’un tempera- ment porte a la colere. Que Socrate ait etedun naturel violent, nous ne nous en rapporterons pas la-dessus seulement a Saint Cyrille, quoique son temoignage soit corrobore de ceux de Porphyre etd’A- ristoxene et qu’il dise en propres termes : « Socrate etait devenu si irritable qu’il ne pouvait moderer ni ses paroles ni ses 6o SOCRATE pisse, ’'Ote <pXe-/0e't7] utzo zou TrdOou; toutou [de ira sermo est) ostvrjv etvat xr ( v aayr][jLO(Hjvr)v • ouoevo; yap ouxe ovopiato; azoa^saOat oSxe -payjj.ato;, Eo importunitatis progressum , ut nullo neque verbo neque opere absti- neret : sed ipsi de se credamus Socrati, qui tam gravi ac molesto sibi, quam fuit Xanthippe, patientia ? et mansuetudinis gymnasio opus fuisse, fassus sit apud Xenophontem [Sympos. 2, 10 ) BouXo'|ievo;, dv0pco7tot; y prjoOat jcat opuXe Tv, Tauxrjv x&ttj- ptat, sii eloco;, oxt, et lauxrjv 'j"Otaco, PAAIQS TOIS TE AAAOIS 'AIIASIN, avOptfaoic auveaouat, Quam ferre si posset, facilis esset cum aliis omnibus conversatio. 23 . Unum superest : e^^OaXpto; erat Socrates. Itaque ita jocabundus disputat cum pulchro Critobulo, ut cum primo convenisset, Pulchras esse res , quatenus respondeant consilio, propter quod ha- bentur ; roget eum , Cujus rei gratia ha- beamus oculos? eoque, ut necesse erat , respondente, Ad videndum, inferat , Suos ergo pulchriores esse, qui Sta zo ET CaMOUR GREC 6i actions ». Croyons-en Socrate lui-meme; dans le Banquet de Xenophon , il avoue que le caractere acariatre de Xanthippe fut pour lui la meilleure ecole de pa- tience et de douceur; que par la suite il lui fut plus facile de supporter la con- tradici ion. 23 . Il ne reste plus qu’une chose : So- crate avait les yeux saillants. Il dispute la-dessus agreablement avee le beau Cri- tobule, et le fait convenir d’abord que toute chose est belle pourvu qu’elle re- ponde au but en vue duquel elle existe. Il lui demande alors : Pourquoi faire avons-nous des yeux ? — Pour voir, re- pond naturellement Critobule. — E/i bien alors , dit Socrate, mes yeux sont les plus beaux de tous, car iis me sortent de la 62 SOCRATE £7it-oXatot sivat, quod emineant, non ea modo, quas exadversum sint videant, sed etiam quae a latere. Et cum diceretur , secundum hmc pulcherrime oculatum (euo^OaXjj-GTa-ov : ) animal esse cancrum, id ipsum affirmat. Jam Physiognomon Aristoteles (c. 6. p. i ijg, D) "Oaoi i£6z>- OaXjjiot, inquit , aS&vepoi, Fatui sunt, quibus oculi eminent : rationem petit ab judicio quodam decoris et convenientia ■ naturali , et ab similitudine asinorum. Male de horum gente meritus est Stagirita : quce videtur ex hoc prcesertim libello contraxisse infamiam illam , qua ab eo inde tempore, et Platonis quibusdam dictis, onerata est : honestum superiori cetate animal, cujus majestatem, ut Var- roniano verbo utamur, (de R. R. 2, 5, 4) adhuc agnoscebat Homerus. De hac re adjicietur potius huic disputationi quoddam corollarium, quam ut longius digrediamur a Socrate. ET L’AMOUR GREC 63 tete, si bien que je puis voir non-seule- ment devant moi, mais & droite et d gaiiche. Son interlocuteur lui repond qu’a ce compte les crabes ont de tres- beaux yeux, et Socrate affirme que c’est parfaitement vrai. Or, d’apres Aristote, les yeux saillants sont 1’indice de la sot- tise; il tire ce pronostic de certains rap- ports naturels de convenance, de syme- trie, et de la ressemblance que ces yeux offrent avec ceux des anes. Le philosophe de Stagyre a par la bien mal merite de cette race inoffensive, et ce doit etre a partir de ce petit traite qu’il acquit le mauvais renoni confirme depuis par Platon lui-meme. L’ane, cet honnete animal, etait mieux apprecie des genera- tions precedentes, et Homere se plaisait, suivant le mot de Varron, a lui recon- naitre de la majeste. Nous ferons de cela un corollaire a cette dissertation pour ne pas trop nous eloigner presentement de Socrate (i). (i) Gesner a «Jcrit un appendice intitulc De antiqua SOCRATE 64 24. Nempe tempus est, ut videamus, quorsum evadat ille de bono et malo equo Myihus. Ad conspectum pulchri (p. 34 j, F) bonus ille quidem aurigee obsequitur, contineri se patitur, malo alteri , quantum potest reluctatur. Simile certamen est in pulchro, qui amatur : repugnat malo isti equo bonus illius jugalis, hic enim est (p. 348 , G) 6 [xo'£u£, et ipse auriga adeo repugnat [aet’ dtSous xat Xdyou, cum pudore et recta ratione. Si ergo ita vincant meliora, et ad vitam ordinatam, quae eadem philosophia est, ducant illum currum, beatam et concor- dem hic vitam agunt continentes se, et decus suum tuentes, syxpatcTs auroiv xat xdajjuot ovtss, in servitutem redacto illo equo, cui vitiositas animae inerat; in li- bertatem asserto eo, cui virtus. Tandem vero alati ac leves denuo facti, sic de tri- bus illis certaminibus (de quibus §. 12) asinorum honestate, imprime i la suite du Socrates sanctus pcederasta ; il ne nous a pas sembl£ otfrir assez d’interet pour Ctre traduit. (Note Ju Traduc- teur.) ET L’AMOUR GREC 65 24. II est temps de voir ou il veut en venir avec son Mythe du bon et du mau- vais cheval. A Taspect de la beaute, ie coursier docile obeit au cocher et se laisse contenir; il resiste de toutes ses forces a son mauvais compagnon. L/objet aime est lui-meme en proie aunesemblablelutte ; son bon cheval se defend contre les ten- tatives de son mauvais compagnon d’at- telage, que de plus le cocher s’efforce de contenir par la pudeur et la raison. Si les meilleurs instincts remportent la victoire et conduisent le char dans les chemins de la vie rangee, cest-d-dire de la philoso- phie, les deux amant s vivent dans le bon- heur et bunion, maitres d’ eux-memes et regles dans leurs mceurs : iis ont dompte le mauvais cheval, qui repre- sente le vice, et affranchi 1’autre qui re- presente la vertu. Recouvrant enfin leurs t ailes et leur legbrete primitives , iis sor- tent vainqueurs de ces trois luttes vrai- ment Olympiques dont nous avons parle plus haut. Socrate peut donc dire*sans hesitation que ccux qui se prescrvcnt. 66 SOCkATE vere Olympicis, unum vicerunt. Absque hcesitatione igitur beatissimos esse dicit, qui se puros et castos ab amore Venereo servaverint. 25. At nunc sequitur apud Platonem, in quo defendere illum , Platonem, in- quam, nam Socratis causam hic segre- gandum putamus (vid. 6) paullo diffi- cilius est; tacuisset enim forte sapientius : sed non iniquum (i) excusare. Nempe his, quee modo prolata sunt, subjungit, quee non scripta equidem malim : sed pono, ne quid dissimulasse videar, ne parum bona fide egisse. Quam vero caute, quam suspensa velut manu illud ulcus tractet, videre opera? pretium est. Eav’ os 8tatT7) <popzi7Ui)~ipx ~z xat A<I>IAO— cptXoTtjxu) 8s yprfacjvzx'., -i/' av ~oj ev uiOat; sitivi a)xA7) dasXsta Tci> axoXaTCto ajTOtv Gno- JXiytco XaSovTE, xa\ tjrjya; xopojpo-j; aovaya- yovTE et; toeutov, tf ( v u ~6 :wv -oXX oiv [xaxaot- fi) Multum certe facilior causa Platonis, quam alicujus Beneventani Episcopi : aut aliorum, quos vrxterco sciens. ET L'AMOUR GREC 67 purs et chastes, de 1’amour Venerien, jouissent de la plus grande beatitude. 25. Ce qui suit, chez Platon, est un peu plus difficile a expliquer; chez Pla- ton, disons-nous, car ici nous croyons devoir separer sa cause de celle de So- crate; evidemment il aurait mieux fait de se taire , mais il n’cst pas impossible de l’excuser (i). A ces choses sublimes que nous venons de transcrire, il en ajoute d’autres que j’aimerais mieux lui voir passer sous silence; je les exposerai cependant, de peur de paraitre rien dissi- muler et manquer un peu de bonne foi. Il faut ici donner le texte pour qu’on ( 1 ) Son cas est en effet moins grave que celui de certain eveque de Bdnevent et de quelques autres que je ne veux pas nommer. — (L’auteur fait ici allusion a 1’archeveque Giovanni .delia Casa et a son fameux Capitolo dei forno ; mais il ne 1’avait probablement pas lu, et il se meprend, comme bien d’autres, surle sens de ce celebre petit poeme. — Note du Traduc- te ur.) 68 SOCRATE cTr;v atpeotv £tXcTr ( v ~t /ai Ste^pa^avxo x x X. Si vero vitam vivant LICENTIOREM et A PHILOSOPHIA ALIENAM, ean- demque ambitiosam, forte aliqua in ebrietate aut qua alia negligentia depre- hensas INCAUTAS animas equi illi uiriusque amatoris indomiti, eodem con- ducant, et sic illam quce beata vulgo vi- detur electionem faciant, et (turpe illud facimts) peragant : eoque peracto per re- liquum tempus utantur quidem (illa voluptate ) sed raro, quippe qui non omnino deliberata mente (sed deprehensi velut incauti ) hoc agant — etiam hi praemium non parvum amatorii illius furoris (non Venerei, de quo modo dic- tum, sed philosophi , de quo §. i3) aufe- runt : in tenebras enim illas et illud sub terram iter non veniunt, etc. ET L'AMOUR GREC 69 voie avec quelle prudence et sans ap- puyer la main, il decouvre cet ulcere de la civilisation Grecque. — « S’ils embr as- sent , dit-il, nn genre de vie moins austdre, etrangbre a la Philosophie et livree aux passions desordonnees , il arrivera quau milieu de Vivresse ou de quelque autre etourderie les coursiers indomptes sur- prendront leurs ames et les meneront l’un et l’ autre au meme but,' iis prendront alors le parti de faire ce en quoi , selon le vul- gaire , consiste le supreme bonheur et (c’est la le crime infame) satisferont leurs desirs. Dans la suite , iis renouvelleront leurs jouissances , mais rarement, parce qxCelles ne sont pas approuvdes de l’dme entiSre et qu’ils agissent comme par sur- prise et sans defense. C’est pourquoi ce qu’il y a encore d’excellent dans leur amour (le pur amour pliilosophique et non le desir Venerien) recevra plus tard sa recompcnse ; iis niront pas, aprds leur mort, dans ces tenebres et par ces routcs souterraines,.., etc. » yo SOCRATE 26. Apertum est his, qui et sermonem Platonis intelligunt, et non ultro qucerunt crimina, non illum prcemium constituere pceder astice turpi, non Philosophice genus facere flagitiosum puerorum amorem : sed summam c.ulpce esse hanc , quod di- cat, si qui coelestis illius pulchritudinis, quam in volatu illo suo viderint, deside- rio icti, etiam pulchros amant, et dum arctius eos complectantur, liberius cum iis versentur, etiam ad turpe facinus ab ebrietate, certe ex improviso, incauti, proster deliberatam voluntatem, abri- piantur, id quod ipsis contingat ob genus vivendi licentius atque a Philosophia alie- num, iis tamen prodesse primum illud7'io- biliusque philosophandi propositum, ut non cum reliquis ad inferos mittantur, et ad poenarum locum (vid. §. 12) non cogantur post ternas millenorum anno- rum periodos , septem alias subire ete sed facilius alas ut recipiant, quibus evo- lare ad coelestia, deum aliquem sequi du- cem possint. Hactenus reprehendat Pla- tonem, si quis volet, non ut laudatorem et l’amour grec 7 1 26. II est bien clair, pour qui veut comprendre Platon et ne cherche pas de griefs de son plein gre, qu J il n’assigne pas cette recompense aux fauteurs du vice honteux, qu’il ne fait pas de 1’igno- minieux amour masculin un attribut special des Philosophes. On voit, au con- traire, combicn il blame ceux qui, les yeux encore eblouis de cette beaute ce- leste entrevue par eux dans leur vol an- terieur, con^oivent des desirs pour la beaute terrestre, recherchent les jeunes garcons, et a force de les embrasser etroi- tement, devivre familierement avec eux, se trouvent entraines a 1 ’improviste, au milieu de livresse, par surprise et sans que leur volonte y ait part, a conimettre l’acte immonde; cela leur arrive, parce qu’ils ont adopte un genre de vie trop libre et qu’ils negligent la Philosophie. Iis tirent cependant ce profit, de s’etre d’abord propose pour but cette noble Science, qu’ils ne sont pas relegues aux enfers avec tous les autres hommes ; apres une revolution de trois mille annees, iis SOCRATE 7 2 Pcederastice, sed ut clementem nimis , lentumque adeo castigatorem : qui prae- sertim in aliis peccatis severum satis ac durum se praebuerit (1 ). 27 . Sed , si cequi esse volumus, si de nostris religionum doctoribus ecquos ex- periri judices, videamus etiam , quid dici pro ratione illa Platonis possit , quid pro Socrate, quatenus et ipse non horribili flagello sectari vitia id genus solebat. Distinguamus legislatoris personam et Philosophi. Legibus Atheniensium primo antiquissimis illis a Cecrope , sanctitas (1) Bona pars libri De re publica decimi in eo consumitur, ut a"apat~r]Tou?, a^apa[xu0rjTOU?, implacabiles sacrificiis Deos, ostendant. Vid. pras. a p. 6 72 extr. et conf. qua: collegit Davis. ad Gic. de Legib. 2. c. j 6 . p. i 3 j ET L’AMOUR GREC 78 n’ont pas a en su.bir sept mille autres; iis recouvrent plus vite leurs ailes et peu- vent s’elancer vers les spheres celestes, a la suite d’un des douze dieux. Que l’on reproche donc a Platon, si l’on veut, non pas de s’etre fait 1’apologiste de la Pede- rastie, mais d’avoir ete trop clement, de ne pas chatier assez ferme, lui surtout qui pour de moindres fautes se montre si dur et si severe (i), 27. Mais soyons equitables; prenons d’honnetes gens pour juges de nos Phi- losophes, voyons ce que l’on peut dire en faveur de Platon ou de Socrate, et jusqu’a quel point ce dernier a vraiment neglige de flageller le vice en question. II faut distinguer le legislateur du Phi- losophe. Les plus anciennes lois Athe- niennes, celles de Cecrops, proclamaient la saintete du mariage. La loi de Dracon ( 1 ) II emploie la majeure partie du X® livre de sa Republique a montrer que les dieux sont insatiables de sacrifices. Comparez avec ce qu’a <5crit Davies sur le Tr ciite des lois , de Cicerrr.i. 7 74 SOCRATE matrimoniorum constituta : Draconis lex capite plectebat adulteros : Solon li- beram faciebat marito potestatem sta- tuendi in adulterum in facto deprehen- sum , quidquid liberet. Itaque mirum fuerit si masculam libidinem non punis- sent. 28. Sed bene habet : supersunt monu- menta Solonis hac etiam de re legum, diligenter collecta a Sam. Petito (de Le- gibus Att. 6, 5 et in Commentario p. 468 sqq.) prcesertim ex vEschinis in Timarchum (a p. 186 edit. Aurei. Al- lobr. 1607. /•) et Demosthenis contra Androtionem (a p. 421) orationibus : unde hoc constat, qui vi vel persuasione ingenuum corrupisset, produxissetve, gravissima poena (quce ad ultimum sup- plicium corruptoris et productoris, in- terdum etiam corrupti, poterat progre- di) affectum esse. Qui illam patiendi pro mercede turpitudinem admisisset, si effugisset poenam aliam, illi neque lice- bat inter novem Archontas esse, neque ET LAMOUR GREC 7 5 punissait de mort les adulteres; Solon laissait la faculte au mari, dans le cas de flagrant delit, de se faire justice comme il 1’entendrait. II serait bien surprenant que ces deux legislateurs fussent muets a l’egard de Tamour masculin. 28. Mais nous avons mieux ; il reste des lois portees par Solon sur la matiere divers fragments precieusement recueillis par Samuel Petit (voy. ses Lois attiques et le Commentaire dont il a accompagne cet ouvrage); ii les a surtout tires du Discours contre Timarque, d’Eschine, et du Discours contre Androtion, de Demos- thene. Il y est dit : Quiconque, memesans violence, aura debauche ou prostitue un homme de condition libre sera passible de la peine la plus rigoureuse. — (Le cha- timent pouvait etre la mort, dans l’un comme dans Tautre cas, et pour le liber- tin, comme pour savictime.) — C elui qui se sera prostitue pour de l’argent, s’il echappe a toute autre peine, ne pourra ni SOCRATE 76 fungi sacerdotio, neque syndicum creari, neque ullum magistratum vel intra vel extra urbem, neque sortito neque suf- fragiis, capere, neque pro Praecone s. oratore mitti usquam, neque sententiam dicere unquam, neque in templa publica intrare, neque in pompa coronata et ip- sum coronari, neque intra sacros fori cancellos (evto; twv t rj; ayopa? TteptppavTT]- P’'wv) ingredi. Si quis vero damnatus im- pudicitiae quidquam horum fecisset, ca- pital erat. 0avato> r7)[j.'oua0w sunt verba legis ab As schine recitata. Plura huc transferri opus non est , cum rarum esse Petiti opus desierit. Summa capita habet etiam in Themide Attica ( 1 , 6) Meur- sius. 2 q. Utrum seynpcr valuerint istce le- ges? annon eas perruperit interdum au- ET L AMOUR GREC 77 etre l’un des neu f archontes , ni remplir aucune fonction sacerdotale , ni etre nomme delegue d’une ville ; il lui est interdii d’exercer aucune magistrature, soit en dedans , soit en dehors de la cite , quii ait et e designe par le sort ou par les suffrages de ses concitoyens ; d’etre en- voyd nulle part comme Herault, ou comme orateur ; de prononcer aucune sentence ; de penetrer dans les temples publics; de faire partie des processions et d’y porter une couronne sur la tetc; de franchir ienceinte sacree de l’Agora. Qiiiconque, deja condamne pour fait de prostitutiori , fera ou acceptera de faire une de ces choses sera puni de mort. Puni de mort, tel est le texte meme de la loi lue par Eschine. II est inutile d’en transcrire ici davantage, car Touvrage de Samuel Petit est loin d’etre rare ; Meursius en a meme donne, dans sa Themis Attique, les cha- pitres importants. 29. Ces prescriptions eurent-elles tou- jours force de loi? Ne purent-elles etre SOCRATE 7 8 dacia , astus subterfugerit , eluserint rhetores? annon ipsa poenarum gravitas impunitati occasionem non nunquam de- derit? an non professce impudicitiae ho- minis utriusque sexus, libidinum publica- rum victimce, toleratce sint? An denique poetce non multa saepe impudenter scrip- serint, fecerint? jam non quceritur. Uti- nam non avxtxatrjyopia quadam repellere possent veteres Attici cujuscunque vel sec- tae vel cetatis homines, si qui acerbius ex- probrare iis velint, quce de Comicorum pe- tulantia sublegerunt illi apud Athenaeum (i3, 8 p. 601 ) Deipnosophistce, et quae colligere ex illa parentum cura apud Platonem (Conviv. p. 3ig, E), Pceda- gogos constituentium suis filiis, qui ne quidem colloqui suis cum amatoribus (turpibus nimirum et flagitiosis) eos pa- tiantur : e. i. g. a. 3o. Ceterum severitate legum eo ma- gis opus erat, quod obtentum fiagitiis et l’amour grec 79 enfreintes par les audacicux, adroitemcnt tournees par les gens ruses, eludees par les avocats ? La rigueur du chatiment ne favorisa-t-elle pas elle-meme Timpunite ? Est-ce qu’on ne tolera pas des prostitues de profession, victimes de 1’incontinence publique et remplissant le role de l’un et 1’autre sexe ? Les poetes n’ont-ils pas ef- frontement deerit ces turpitudes, ne les ont-ils pas mises en action sur la scene ? Cela ne fait aucun doute. Plut au ciel que les Atheniens de nfimporte quelle secte et de quelle epoque ne pussent re- tourner Taccusation a ceux qui leur re- procheraient trop vertement ces horreurs etalees par les poetes comiques et recueil- lies par les Deipnosophistes d’Athenee, ou ce qu’on peut induire de 1’inquietude des peres de famille confiant leurs fils, d’apres Platon, a des precepteurs severes, pour les empecher de s’entretenir avec leurs amis, — des amis infames et detestables. 3o. Les lois devaient etre d’autant plus severes, que les coutumes de la Grece 8o SOCRATE non nunquam praeberet (ut nempe res sancta ? prope omnes , ut ipsce populorum sceculorumque pene omnium religiones , atque ceremonice) ille puerorum amor , castus , legitimus, sanctus, quo tanquam potentissimo virtutis cum bellicce tum civilis incitamento utebantur qucedam Grcecorum respublicce : quarum legisla- tores, cum viderent, ignava fere esse virtutis prcecepta, firmis licet nixa de- monstrationibus, nisi ea affectu quodam et tanquam spiritu animentur, nisi ev0ou- aiaajxou quoddam genus accedat, quo acti homines et commoda sua , et jacturas, et salutem, et pericula et tormenta contem- nerent. Hinc excogitata et in usum civitatis recepta sunt splendida ista et efficacissima remedia, Religio, Pudor, Amor patrice, Gloria, res quondam po- tentissimce, quod ex illarum effectibus judicare pronum est: nunc prceclara quo- rundam, qui sibi Philosophi videntur, opera fere ad inanium vocabulorum stre- pitus relata, et, dum relata sunt, etiam redacta. ET l’aM0UR GREC 8i ( comme toutes les choses saintes, comme les cultes et les ceremonies religieuses de presque tous les peuples et de tous les temps) donnaient plus de facilite a la depravation. La fervente amitie entre jeunes gens, Tamitie chaste, legitime, sa- cree, etait favorisee, dans les republiques de la Grece, comme le plus energique stimulant du courage militaire et des ver- tus civiles. Leurs legislateurs savaient bien que ni la vertu ni le courage ne s'in- culquent a 1’aide de demonstrations, si bonnes qu’elles soient ; que 1’homme est naturellement faible a moins qu’il ne soit pousse par la passion et par 1’orgueil ou entraine par cette espece d’enthousiasme qui lui fait mepriser les aises de la vie, la fortune, la vie elle-meme, et affronter les perils et les supplices. C’est pourquoi l’on mettait en jeu, dans Torganisme de la cite, ces heroiques et sublimes mobiles, la Re- ligion, 1’Honneur, 1’Amour de la patrie, la Gloire, mobiles autrefois bien puis- sants, comme nous pouvonsen juger par ce qu’ils firent accomplir; aujourd’hui, 82 SOCRATE 3 i . In illis igitur rei publicce bene ge- renda? incitamentis, an instrumentis? erat Amor ille adolescentulorum tum in- ter se, tum inter ipsos et natu majores : inde illa sacra Amantium cohors The- bis, et Cretensium. Quanta illius vis esset, et quam metuendus esset miles amator, svOouatwv, et ab Amore simul atque a Marte bacchans, occurenti in prcelio hosti, ita enarrat 2E liantis (H. V. 3 , g) ut IvOo-jatav et furere ipse prope videatur. Idem (c. io et 12) Laconica qucedam circa eam disciplina? publica? partem instituta commemorat : V. G. ab illis multatum esse virum alioquin bonum, ea de causa , quod nullum ha- bere juniorem, quem amando sui si- milem, et per hunc forte etiam alios, redderet : itemque peccantis adoles- centuli virum amatorem punitum , cui 83 ET l/AMOUR GREC grace a de certains Philosophes, ou soi- disant tels, ces grandes choses ne sont plus que de vains mots, creux et vides, dont le sens s’affaiblit a mesure qu’on en abuse. 3 1 . Ainsi, 1’Amour des jeunes gens, soit entre eux-raemes, soit entre eux et leurs ames , etait favorise partout en Grece , pour le bien de la chose publique ; voila ce qui donna naissance a la cohorte sa- cree des Amants , chez les Thebains et chez les Cretois. Quel etait le courage de ces sortes de soldats, quelle etait la ter- reur qu’ils inspiraient, lorsqu’ils rencon- traient Tennemi, ivres a la fois d’amour et de sang : c’est ce que Elien nous a fait connaitre, en partageant, pour nous les mieux depeindre, leur impetuosite et leur fureur. II nous indique aussi qu’il y avait quelque chose de semblable dans les institutions de Sparte ; un Lacede- monien fut mis a 1’amende , quoique excellent citoyen, pour avoir neglige d’ai- mer quelque compagnon plus jeune que lui, a qui il aurait inculque ses vertus et SOCRATE 84 nempe illius imputari vitia posse cen serent. 32 . Etiam illud Laconicum narrat , so- litos ibi adolescentulos petere ab ama- toribus , viris nempe bonis ac fortibus , stareveTv auTot ?, ut se adflarent. Interpreta- tur illud verbum , Laconibus proprium, sElianus per epav, amare : idem factum ab Hesychio V. sp.-v£ Tjj-ou, et epa, eia7cver. Multa similia ad utrumque Hesychii locum viri docti , post Meursium (Mis- cell. Lac. 3 , 6 ) sed nihil, unde ratio ap- pellationis queat intelligi. Nec satisfacit, quod refert, non probat Eustathius (ad Odyss. A, 36 1 p. 1743 et ad E, 478 p. 240, 38 ) EtarevElxai yap tpaat, t 7j? pLOp^? ti /at x i); wpa;, inspirari aliquid fornice et pulchritudinis. Hcec enim Laconicce se- veritati parum conveniunt, si fides anti- quis, ipsique adeo JEliano in ipso illo, de quo agimus , loco. Srap-ctaTT)? epio; ata- ET LAMOUR GREC 85 qui eut ete capable, a son tour, de les transmettre a d’autres. Lorsqu’un jeune homme commettait une faute, les Spar- tiates punissaientson intime ami, comme responsable des vices qu’il lui tolerait. / 32. Elien rapporte encore cette autre coutume de Sparte, que les jeunes gens exigeaient de ceux dont iis etaient aimes, toujours choisis parmi les meilleurs et les plus braves, ut se adflarent. II explique le verbe ekjttvs Tv ( adflare ), propre aux La- coniens, par cet autre : spav (aimer), et He- sychius de meme aux mots EpjcvEtgou, ipS et eiu7iveT. Divers savants ont accueilli cette interpretation, a 1’exemple de Meursius; mais je n’ai rien compris aux raisons qu’ils en donnent. Je ne suis pas davan- tage satisfait de Tassertion emise, sans preuve, par Eustathe, dans son commen- taire des chants IV e et V e de YOdyssee : a Les inspires (i) sont guides dans leur (i) On appelait indifTeremment ItaKVETxat, ii a- 7UvrjXa' (inspires) ou spacjiat (amants) ces couples 8 86 SOCRATE ypov oux otosv x. t. X. Spartanus amor turpe nihil quidquam novit. Sive enim ausus fuerit adolescentulus pati turpia (upo-v uzoaeivat) sive amator facere (£»|Bp6 oat) neutri quidem Spartee manere pro- fuerit : aut enim patria privarentur, aut vita ipsa. Quare illud ela-vetv s. s[j.7ivsTv, illos £ta7iVTjXa;, quos eosdem aixa? vocat Eustathius (Hesych. afcav, s-aTpov) ab in- spirando s. adspirando divino quodam spiritu, dictos arbitror , unde afflati, ut 7rveuu.atocpo'poi quidam et svOouaiwvTsc, divi- no quodam furore perciti , ruerent. Hic est ille furor, quem supra i3) tetigi- mus, et de quo plura sunt in Platonis Phcedro (p. 344, A. 346, A. 352, E). Nempe spiritum 7iveSp.a quum dicebant an- tiqui, non rem illi tantum cogitantem in- dicabant, sed rem subtilem, magna ean- dem movendi et agendi vi praeditam, etc. de friires d’armes , si terribles dans les batailles. 'Etcnvelv (ad/lare) peut se traduire positivement par meter les souffles ou metaphoriquement par avoir des aspirations communes. ( Note du Tra- ducteur.) ET l’aMOUR GREC 87 choix par la beaute et 1’elegance corpo- relle. » Cela me parait peu convenir a cette severite Laconienne dont temoi- gnent tous les anciens et Elien lui-meme, a Tendroit en question : « On ignorait a Sparte ce que detait que les impures amours. Si quelque jeune homme eut ose se prostituer , ou prendre 1’autre role, il lui eut mal reussi de rester d Sparte; il y allait pour lui de Vexilou de la mort. » C’est ce qui me fait croire que ces inspires , designes aussi sous les noms de compa- gnons, freres d’armes, par Eustathe et par Hesychius, etaient ainsi appeles du souffle ou de Tesprit en quelque sorte divin qui les animait, lorsqu’ilsse ruaient sur l’ennemi comme transportes d’une fureur plus qu’humaine. Nous avons deja parle de cette espece de delire, dont il est si souvent question dans le Phedre de Platon. Il convient en effet de remarquer que les anciens n’entendaient pas comme nous par esprit une faculte intellectuelle, mais une essence subtile, douee d’une grande forcc de mouvement et d’action. 88 SOCRATE 33. Non vagatur hcec extra oleas ora- tio. Cum enim fuerit , quod, adhuc proba- tum est, in Grcecia r.aiozptxizv.a. quaedam honestissima, et sancta adeo , qua ad virtu- tem, bellicam praesertim , et quidquid pul- chrum est, incitari homines crederentur, cum nomina spojvuo?, Ipaaxou, raioapaaxou, itemque spwuivoy, -atot/.wv, et similia tur- pitudinem nondum haberent : cum illud raiSspaaxsTv res esset adeo honesta, ut quem ad modum capital Romae erat servo, si militarat, ita Solonis lege multaretur quinquaginta plagis publice, qui servus eXsuOspou 7ra'oo; spav, amare liberum pue- rum, auderet : haec ita se cum haberent omnia, nemo jam debet mirari, adoles- centulorum esse amorem professum So- cratem, fecisse illum, quae ante (§. i5) dicta sunt, eaque scripsisse tanquam So- cratis dicta Platonem, quae ex Phaedro commemoravimus . Quod mitior est vel Plato, vel ipse adeo Socrates, (si quis ei tribuat, non satis ille quidem aequa ratio- ne, quidquid apud Platonem ex ipsius persona dictum ponitur) in hos etiam quos ET L’AMOUR GREC 89 33. Cette digression ne nous a pas eloigne de notre sujet. Puisqu’il existait en Grece , comme nous venons de le prouver, une jcatBspao-rfta tres-honnete , sainte, on peut dire, et reputee propre a pousser les hommes au bien et a la vertu, surtout a la vertu guerriere; puisque les mots d’amants, d’amis, de 7tad>epa<jTcu et de 7:aioi7.wv n’avaient rien de honteux ; puisqu’il etait meme si honorable de se livrer a cette zcaSspaardtix, que la loi de Solon punissait de cinquante coups de fouet, subis en pleine place publique, tout esclave qui aurait ose aimer un jeune homme de condition libre; puisque tout cela est irrefutable, personne ne doit s’e- tonner que Socrate ait professe 1’amour des j eunes gens, qu’il ait lui-meme eprouve cet amour et agi en consequence; que Platon nous ait transmis, comme l’ex- pression des doctrines de Socrate, ce que nous avons cite du Phedre. Sans doute Platon ou, si l’on veut, Socrate, quoiqu’il ne soit pas equitable de lui attribuer tout ce que son disciple lui fait dire, se montre SOCRATE 90 mala libido ad turpitudinem transversos abripuit 25 . 26) illud primo hanc rationem , ut innuimus , habuit , quod nec legislatorem hic, neque publicum accusa- torem ageret ; sed Philosophum , sed amatorem, amicum certe quidem, qui non metu pcence deterrere a turpitudine homines, sed virtutis amore revocare a peccato vellet. Deinde erant forte, quibus parcendum erat, juvenes a vitiis ejus- modi non plane puri, Alcibiades , Critias , alii, 9[Xox''[j.o) illi quidem sed eadem «popti- ■/Mxipcc et dcfikoaofM otattr) yprjaajxsvoi (vid. §. 25 ) quos abscisse nimis ab omni fructu Philosophice, ab omni ad virtutem reditu excludere velle, et sic plane a se et a virtute segregare, non erat consilii. Non instituam hic comparationes, quce invi- diam habere possunt : sed illud addam unum, si forte aliquid veri sit ineo, quod de liberiori Socratis adolescentia dictum est /'§. 2) : si non mendax historia , e qua refert Origenes contra Celsum , qui su- periorem vitee conditionem primis Chris- ti discipulis objecerat (l. 1. p. 5 o. pr.) ET L AMOUR GREC 9 1 beaucoup trop clement envers ceux qu’un infame desir pousse a Tacte honteux. Son excuse, nous Tavons deja dit, c’est que ce n’est pas ici un accusateur public ou un legislateur qui parle, c’est un Philosophe, un ami, un amant, et il essaye non de detourner les hommes du vice en les ef- frayant par la menaee des chatiments, rnais de les dissuader d’une faute en leur inculquant Tamour de la vertu. II y avait d’ailleurs peut-etre autour de lui des jeunes gens qui n’etaient pas irreprocha- bles et envers lesquels il ne fallait pas se montrertrop dur, un Alcibiade, un Cri- tias, d’autres encore, pleins de fougue, adonnes a une vielicencieuse et etrangere a la sagesse; les priver de quelques-uns des benefices de la philosophie, c’eut ete leur fermer toute voie de retour au bien, les eloigner de la personne du maitre et par consequent de la vertu. Je ne cherche pas a faire des comparaisons qui pour- raient sembler malseantes; je veux ce- pendant rapporter un fait, vrai ou faux, qui a traita la jeunesse un tant soit peu SOCRATE 9 2 Phcedonem e lupanari traductum ad Philosophiam a Socrate : quid facere illum oportebat in hac disputatione? 34. Nihil igitur est in Phcedro , quod urgeat Socratem : si quid incautius dic- tum sit , illa Platonis culpa fuerit : quam- quam si universam circumstantiam , ut a nobis ostensa est , quis consideret , etiam hunc accusare , vel non excusare, ini- quum videtur. De Convivio Platonis jam non opus est multis disputare. Distin- guat mihi aliquis personas loquentes : ad universam libelli descriptionem, quam vocamus CEconomian, ad Allegorian denique ab amore Venereo ductam , ac translatam ad animos, quorum lenonem se et obstetricem ferebat Socrates : ad hcec, inquam , mihi attendat aliquis, et et l’amour grec q3 dereglee de Socrate. C'est Origene qui le raconte dans son traite contre Celse. Celse reprochait aux premiers disciples du Christ d’avoir ete tires de conditions abjectes; Origene repondit que Socrate avait bien tire Phedon d’un mauvais lieu pour le convertir a la Philosophie. J e vous demande un peu ce que ce Phedon venait faire dans la discussion. 34. On ne rencontre donc rien dans le Phedre qui puisse incriminer Socrate; s’il y a ca et la quelques paroles imprudentes, c’est la faute de Platon. Encore, si l’on examine bien toutes les circonstances, comme nous 1’avons fait, il serait injuste, tout en blamant Platon, de ne pas lui trouver d’excuse. Nous ne nous etendrons pas longuernent sur son Banquet. Que l’on distingue bien les uns des autres les interlocuteurs, que Fon fasse attention a 1’ensemble du dialogue, a ce que nous appelons 1’economie de 1’ouvrage, que Fon analyse enfin cette allegorie tirce de 1’amour physique, puis appliquee aux 94 SOCRATE mirabor, si quid ibi sit , unde Jiagitio ipsi praesidium, vel crimini in Socratem jactato firmamentum peti possit. Sed est in illo libro, quod maxime ad defenden- dum a Socrate fagitium pertinet, quod ut magis pateat, tota ultimee partis, et velut actus postremi fabulae illius convi- valis, CEconomia proponenda est, e qua ipsa appareat, velle pro veris haberi Pla- tonem, qua ’ in Alcibiadis personam con- jecta de Socrate dicuntur. 35. Ebrius nempe Alcibiades ad eum finem, ut neque pedes officium faciant, comissator supervenit potantibus apud Agathonem Socrati ceterisque. Hic, ex lege compotationis , dextrum sibi accum- bentem Socratem laudare jussus, obse- quitur cum professione ebrietatis, ut tamen (p. 332, G) vera se dicturum con- firmet et redargui petat , si quid mentia- tur. Ac primo sub imagine quadam lau- et i/amour grec 9 5 idees, dont Socrate se donnait comme l’entremetteur et Taccoucheur, et je serai bien surpris si 1’on y decouvre quoi que ce soit en faveur du vice infame ou a 1’appui de 1’accusation portee contre So- crate. On pourra y puiser, au contraire, les meilleurs arguments pour l’en defen- dre ; mais il est necessaire d’exposer ici toute 1’ordonnance de la derniere partie, ou plutot du dernier acte de ce dialogue, ou il est clair que Platon veut nous faire tenir comme vrai ce qu’il a place, tou- chant Socrate, dans la bouche d’Alci- biade. 35. Alcibiade arrive a la fin du festin dans un tel etat d’ivresse que ses pieds refusent de le porter; il veut prendre sa part de plaisir avec Socrate et les autres, en train de boire chez Agathon. La, par suite d’une convention adoptee entre les convives, il est force de faire 1’eloge de Socrate, assis a sa droite, et demande de 1’indulgence, en se fondant sur ce qu’il est ivre ; il affirme pourtant qu’il ne SOCRATE 96 daturus Socratem , cum Sileno aliquo (Conf. §. 18 J nominatim cum Satyro Marsya , tibicine , illum comparat, cujus figura, ex ligno, edolata ruditer atque deformi, utebantur artifices pro theca, quce intus haberet pulcherrimum aliquem Mercuriolum (p. 333, F) : scilicet in corpore deformi habitare animam pul- cherrimam demonstrat : et esse tibicini Marsyce similem Socratem, ob illam vim demulcendi animos, cui resisti non posset. 36. Deinde narrat, cum eundem pul- chrorum sectatorem quendam ct capta- torem videret, se, qui fiduciam fornice haberet, sperasse, si pellicere virum ad amorem sui (venereum nempe) posset, eique se prceberet obsequiosum, impetra- turum se ab illo admirabilem illam ar- tem, et ablaturum, quce Socrates sciret, omnia. Hinc narrat verbis quidem ho- nestis modestisque , ct tamen venia ante ET LAMOUR GREC 97 dira que la verite et exige, s’il se trompe, qu’on lui donne un dementi. II com- mence, pour louer Socrate, par le com- parer a ces grossieres figures de bois representant Silene ou le satyre Mar- t syas, le joueur de flute, sculptees sans travail et sans art, dont les statuaires se servaient comme de gaines, et qui rece- laient a 1’interieur quelque joli petit Mer- cure ; ainsi, dit-il, dans un corps difforme peut habiter une belle ame; de plus, So- crate ressemble au joueur de flute Mar- syas en ce qu’il a, pour charmer, une force a laquelle nui n’est en etat de resister. 36. II raconte ensuite que le voyant s’attacher a la poursuite des beaux ado- lescents et s’efforcer de les prendre dans ses filets, plein de confiance en sa beaute parfaite, il avait essaye de lui inspirer de 1’amour, comptant bien qu’avec un peu de complaisance pour ses desirs il obtien- drait de lui qu’il lui communiquat son admirable science, et qu'il gagnerait a cela tous les talents de Socrate. Alcibiade 9 SOCRATE 98 exorata ebrietati , et pro? fatus (p. 334 , C) uti servi aliique profani aures obtu- rent (zuXa<; 7: avo [xEyaXai xot; walv £7ri0E<?0s) quam varie, et quibus veluti gradibus, frustra continentiam Socratis, temperan- tiamquefrecte fortitudinis hic nomen adji- cit) tentarit. Summam facit hanc, (p. 334 , G) ut Deos Deasque testes faciat, se cum totam noctem sub eadem veste cum Socrate jacuisset, non aliter ab illo, quam ut filium a patre, aut a fratre majori frater deberet, surrexisse. Itaque se frustratum spei esse in homine, quem hac sola forte parte capi posse putasset. 3y. Enumeratis deinde aliis Socratis virtutibus, bellica prcesertim , qua sibi etiam vitam servarit, addit, non se tan- tum contumelia tali ab eo affectum , sed Charmiden etiam , Euthydemum et et l’amour grec gg place ici , mais en termes honnetes et mesures, quoiqu’il se soit excuse sur son ivresse et qu'il ait recommande aux es- claves et aux profanes de se boucher les oreilles, le recit des gradations savantes et de tous les stratagemes vainement mis en oeuvre par lui pour induire en tenta- tion la continence, la temperance ou plu- tot, comme il le dit fort justement, l’he- roique fermete de Socrate. II conclut en disant : Je prends les dieux et les deesses d temoin quapres avoir repose toute une nuit d cote de Socrate, et sous le meme m ante au , je me levai d'aupres de lui tel que je serais sorti du lit de mon pere ou de mon frere aine. Ainsi, le seul point par lequel il croyait que cet homme fut accessible avait tout a fait trompe ses esperances. 37. Apres avoir ensuite enumere les autres vertus de Socrate et appuye sur sa valeur guerriere, a laquelle il etait lui- meme redevable de la vie, il ajoute qu’il n’est pas le seul, du reste, a qui Socrate 100 SOCRATE alios multos, quos ille amoris simulatione deceptos in potestatem suam redegerit , ou? oiito; s^aTCatojv w; IpaartT)?, Tuatoty.a piaXXov autos -/.aOiaTa-ai avi’ epaotou. Nempe adu- labantur vulgo amatores , certe qui turpe quid spectarent , pueris aetatula sua et illa ipsa adulatione superbientibus. Alia ratio Socratica , quae etiam supra (§. 6) in Lysidis argumento declarata est. Sua- vissima sunt reliqua in Symposio Plato- nis : eo autem referuntur omnia , ut in- telligamus Socratis hanc fuisse consue- tudinem . , pulchrorum amorem uti prae se ferret , cum illis suaviter et amice ut versaretur, ut virtutis illos amore im- pleret , reliqua omnia non tanti esse os- tenderet , in quibus valde sibi elaboran- dum vir sapiens existimaret. 38. Sanctus ergo Paederasta Socrates , et foedissimi , si quod usquam est , crimi- ET L AMOUR GREC 101 ait fait un tel affront; que pareille chose est arrivee a Charmis, a Euthydeme et a bien d’autres qu’il avait feint d’aimer tendrement, pour mieux les asservir et les diriger. Les amis vulgaires, ceux sur- tout qui esperaient de honteuses com- plaisances, se faisaient les flatteurs des jeunes garcons, et ceux-ci n’en etaient que plus fiers de leur beaute. Autre etait la methode Socratique, comme nous l’a- vons montre plus haut en exposant le sujet du Lysis. Ce qui suit, dans le Ban- quet de Platon, est charmant ; tout aboutit a nous montrer que telle etait la coutume de Socrate de rechercher les bonnes gra- ces des jeunes gens que distinguait un exteneur gracieux, et de vivre avec eux dans une douce et agreable intimite, afin de leur faire aimer la vertu; ce point obtenu, il jugeait facile de leur donner les autres qualites qu’un sage doit s'ap- pliquer a acquerir. 38. Ainsi, Socrate n’avait pour la jeu- nesse qu’un amour chaste ; il etait pur du 9 - I 02 SOCRATE nis expers : a quo etiam alios avocare studuit , quod Critice exemplo docet Xenophon, ejus, qui post in triginta tyrannis fuit , quem Euthydemi pudori insidiari cum sentiret , utxov ti Tiaay eiv dixit, suillo more prurire, eaque re ini- micitias hominis factiosi et potentis sibi contraxit; quibus carere poterat , nisi potius fuisset officium. 3g. Sed admonet me Xenophon de crimine alterius illo quidem generis, et multo, ut in malis, tolerabiliore : quod tamen ipsum etiam in illo adhaerescere, quantum in me est, non patiar. Accusa- tur, ut naturalis quidem , sed malce ta- men libidinis suasor et leno quidam, propter ea quce referuntur in Xenophon- tis Convivio (c. 7 et g). Sed nec ibi quid- quam est, cujus bonum Socratem, aut illius amicos pudere debeat. Spectacula exhibentur convivis mirabilia , partim ET LAMOUR GREC io3 vice infame entre tous. Bien mieux, il s’efiforcad’en detourner lesautres, comme Xenophon nous 1’apprend par 1’exemple de Critias. Ce disciple de Socrate, devenu par la suite l'un des Trente tyrans, avait voulu attenter a la pudeur d’Euthydeme ; lorsque son ancien maitre Bapprit : II a le prurit du porc{ i), s’ecria-t-il ; paroles qui lui attir£rent 1’animosite d’un homme puissant et redoutable, ce qu’il lui eut ete facile d’eviter, s’il n’avait mieux aime faire son devoir. 3g. Mais Xenophon me fait songer a une autre accusation qui a ete egalement portee contre Socrate ; quoique moins grave, elle n’en est pas moins facheuse, et je l’en disculperai de toutes mes forces. On lui reproche, a 1’occasion d’un inci- dent rapporte par Xenophon, dans son Banquet , d’avoir excite ses disciples a la debauche, ce qui serait pernicieux encore, (i) Concupiscit ad Euthydemum se affricare quemadmodum porcelli solent ad saxa (Xeno- phon, Memorabilia). 1 04 SOCRATE etiam periculosa , et horrorem quendam spectantibus moventia , inter districtos gladios corpora saltu jactantium , aut in figuli rota circumacta scribentium le- gentiumque. Non placent ea Socrati, qui aptius convivio spectaculum putat ipyjln- Gat r.poc, tov auXov T/rJijiaTa, Iv oi; Xapixe; ts •/.a't Qpat, xa\ Niifxcpat ypstaovtai, ad tibiam edi motus et saltationes, eo habitu, quo Gratiae, Horae, Nymphae a pictoribus exhibentur. Forte suspectum alicui fuit hoc quod Gratice nuda; pingi solent. Sed huic sus- picioni repugnat , quod dicitur Ariadne illa saltatrix w; vop-sr, xcy.ocju.rjU.svr,, sponsce autem profecto apud Grcecos nudce esse ET L AMOUR GREC 105 bien qu’i.1 s’agisse ici de plaisirs confor- mes au vceu de la nature, et de s’etre fait, en quelque sorte, entremetteur. II n’y a rien, dans ce passage, dont doivent rougir 1’honnete Socrate et ses amis. Des mimes viennent d’executer devant les convives toutes sortes d’exercices extraordinaires, quelques-uns tres-dangereux et propres a donner le frisson aux spectateurs; on a vu les uns presenter leurs poitrines, en sautant, a des pointes d’epees rangees en file ; d’autres lire ou ecrire enfermes dans une roue de potier mise en mouvement. Ces exercices deplaisent a Socrate ; il pense qu’il serait plus convenable, au milieu d’un festin, de voir des danseuses executer des poses, au son de la Jlute, sous le costume que les pcintres pretent d’ ordinaire aux Graces, aux Heures et aux Nymphes. Cela a pu paraitre suspect parce qu’on a coutume de representer les Graces toutes nues. Mais ce soupcon ne repose sur rien, car la danseuse qui parut alors, habillee en nymphe, representait SOCRATE I Ob non solebant : nymphae in insectis ab eo ipso dicta?, quod involuta? sunt. Gra- tias decenter vestitas contemplari licet in Grcecis monimentis apud Montfauc. Ant. Expl. To. i Tab. iog ad p. ij6. Movit forte eum, qui primus crimen hinc excerpsit Socrati, a/r^a-coiv appel- latio, qua? inter alia ad turpes figu- ras refertur , quales olim Philcenidis et Elephantidis commendatas libellis fuisse constat (i), ut hic ejusmodi impudens spectaculum suspicaretur . Sed tum inter- jecta de amore disputatio ( 2 ) (c. 8) tum ipsa perfectio exsecutioque consilii (c. g) suspicionem illam eximunt. Aguntur Ariadnes et Bacchi nuptice,sed illa ut in scenam nihil veniat, pra?ter oscula et (1) De quibus Spanhem. de usu et Praest. numism. Diss. i 3 . p. 522 . sq. Hic ay 7 jfi a est omnis gestus saltantium blandus, minax, derisor. Vid. Lucia. de Saltat, c. 18. T. 2 p. 278 in primis c, 36 . extr. (2) Apertior, simpliciorque , et incautior adeo Xenophontis de his rebus oratio , quam Plato- nica : sed cujus summa eodem pertineat, uti ab impura libidine ad sanctam animorum conjunc- tionem homines revocentur. F.T L^AMOUR GREC IO7 Ariadne, et les Grecs ne permettaient pas le nu dans les roles de femmes mariees. D’ailleurs, certains insectes imparfaits sont appeles nymphes pre- cisement parce qu’ils sont enveloppes. On peut voir aussi, dans YAntiquite' ex- pliquee de Montfaucon, que les Grecs, meme sur leurs monuments, figuraient les Graces decemment vetues. Celui qui le premier a lance contre Socrate cette accusation s’est peut-etre effarouche du mot pose, qui, entre autres, est applique a des images obscenes, du genre de celles qu’on rencontrait dans les livres de Phi- laenis et d’Elephantis (i); il a soupfonne Socrate d’avoir reclame un spectacle lu- brique. Or, ladiscussion surTarnour qui intervient alors ( 2 ), 1’execution et l’ache- (1) Spanheim (De prostantia et usu numisma- tum antiquorum) parle de tout cela. On appelait poses toute esp6ce de geste lascif, provocant ou railleur, des mimes. ('Comparez Lucien, De la Danse, ch. XVIII.) (2) Le dialogue de Xenophon est bien plus franc, bien plus simple et bien moins circonspCct que celui de Platon ; tous les deux d’ail!eurs vont au meme io8 SOCRATE amplexus , cetera reservantur postsce- niis (i). but, qui est de detourner les hommes des plaisirs les plus impurs et de les rapprocher dans une sainte communion des ames. (r) Tales saltationes s. repraesentationes etiam pars sacrorum erant. Apud Lucia. in Pseudom. c. 38 . To. 2 p. 244 xsXsx7]'v xtva cuvtaxaxat Alexander , xai SaStyta?, xat tepocpavxta; — In his mysteriis et sacris etiam est KoptoviSo? yapto; cum Apolline — item riooaXstpiOU xai pLTjTpo; AXs^avSpou yauo; — denique SsXrJvr^ xai AXs^avBpou spto? — Alexander ut Endymion alter xaOsuSwv exsixo sv xw piato — cptXrjtxaxa xs eytyvovxo xat ~£pt~Xoxa\, st 8s ar t r. oXXat iqaav at 8a8ss, xay’ av xt xat xwv utco xoXtcou sjxpaxxsxo. Apposui locum , quia hic etiam 7t$pt7tXoxa'i, et tamen nihil obscenum. ET l’aMOUR GREC IO9 vernent immediat du divertissement qu’il avait demande, enlevent toute force a cette conjecture. Les mimes representent les noces d’Ariadne et de Bacchus : mais on ne voit rien de plus sur la scene que des baisers et des etreintes amoureuses ; le reste se passe derriere le rideau (i). ( 1 ) Ces sortes de danses et de reprdsentations faisaient partie des Myst6res. Dans lM lexander seu Pseudomantis, de Lucien, on voit Alexandre, in- troduit comme nouvel initii, passer par les 6preuves du dadouque et de l’hi<5rophante. Parmi les scenes religieuses auxquelles cette initiation donne lieu figurent : les noces d’Apollon et de Coronis, celles de Podalirius et de la mere dAlexandre, enfin les amours d’Alexandre et de la Lune. « Alexandre, comme un autre Endymion, etait couchd au milieu du theatre; on dchangeait des caresses et des bai- sers. S’il n’y avait pas eu D des torches en quan- tite, peut-etre bien qu’il se fut laiss6 entrainer a faire qucedam earum quce sub veste Jieri solent. » Cest un peu ldger ; cependant il n’y a rien la de bien obscene. — Gesner aurait du citer Lucien plus complete- ment ; ce passage du Pseudomantis offre un tableau de genre exquis : « Alexandre, comme un autre Endymion, etait couche au milieu du thdatre, faisant semblant de dormir. II tombait de la voute, comme du ciel, une certaine Rutilia, tr£s-jolie, qui jouait le role de la Lune et qui dtait la femme d’un intendant de 1'einpereur. Elie aimait vraiment Alexandre et 10 I IO SOCRATE 40 . Finem et effectum negotii ita indi- cat Xenophon : teXo; 0 i ol <jup.7ioToci ’.oovte; T:ept6e6Xr]xdT:a; ts aXXrjXou c xai oj; et; euvrjv aTr-.ovTa:, 01 (j.r,v ayauoi yaixetv £zw[xvuaav, 01 oe ysyap-rixoTec, ava 6 xvc£; Ijci xou; ? 3 C 7 COUS, a-rj- Xauvov Tipo; xa; lauxujv yuvaTxa;, otim; xojxojv xuy otsv . Tandem post blanditias quasdam , verecundas, maritales, complexi se invi- cem sponsus et sponsa , i. e. manibus implexis, vel brachiis mutuo cervici im- positis, vel tergo circumjectis , velut cubitum discedunt : ab hoc spectaculo incalescentes , et ut paullo ante dicebat, av£7iTEpo)|jiivoi (vid. no. ad §. i5) convivae caelibes dejerant, se ducturos esse uxo- res ; mariti autem equis conscensis domos festinant, ut simili voluptate et ipsi fruantur. Utinam vero e spectaculis et theatris hodie ita discederetur ! utinam Socratis hac parte disciplinam sequeren- tur publicarum Voluptatum Tribuni. Talia spectacula edere debebant Romani eu 6tait aimee. Sous les yeux de son propre mari, iis echangeaient des caresses et des baisers » (Note du Traducteur.) ET L’AMOUR GREC l I I 40. Xenophon indique de la maniere suivante la fin et les resultats de l’his- toire. Apres toutes sortes de caresses honnetes et maritales, les deux epoux se tenant embrasses, c’est-a-dire, je pense, les mains entrelacees ou les bras pas- ses mutuellement soit autour du cou, soit autour de la taille, s’eloignerent comme pour aller se coucher. Echauffes par ce spectacle et se sentant de furieu- ses demangeaisons, comme s’il leur pous- sait des ailes , les convives encore celiba- taires /irent le serment de ne pas tarder a prendre femme ; les maris monthrent a cheval et se haterent de regagner le lo- gis, pour gouter d leur tour de sem- blables voluptes. Plut au ciel qu’aujour- d’hui on quittat les spectacles et les theatres dans de si bonnes intentions ! plut au ciel que cette partie de la disci- pline Socratique fut pratiquee par les ediles preposes aux plaisirs publics ! Ce sont de tels divertissements qu’auraient du decreter les empereurs Romains, sou- cieux d’exciter toutes les classes au ma- I 1 2 SOCRATE principes , cum de maritandis ordinibus , et sobole Romana augenda soliciti erant : talia conveniebant nuper Lutetia ? et Gal- lice adeo universae, quum Ducis Burgtin- dice natalem nuptiis mille puellarum celebrarent : talia magnam Britanniam , si quid veri habent quorundam qucerelce, Swiftiance praesertim , quas eo loco protu- lit , ubi de abrogando clero disputat : aut eorum , qui hodie peregrinos invitandos , supplendi populi causa . et civitate donan- dos , censent. 41. Nempe incidit aetas Socratis in ea tempora, ubi civium paucitate laborabat exhausta bellis Persicis et Peloponnesia- cis Attica , cui etiam lege matrimoniali obviam ire, et afferre remedium , conati esse dicuntur. Debemus notitiam hujus legis ipsi Socrati, quatenus nulla forte illius mentio extaret hodie, nisi de dua- bus Philosophi uxoribus jam olim dispu- tatum esset. Res cum queestioni. de qua et l’amour GREC 1 I 3 riage ct d’accroitre la posterite de Re- mus : iis auraient convenu naguere a la ville de Paris et a la France entiere lorsqu’on feta la naissance du duc de Bourgogne en mariant un millier de jeunes falles; iis auraient bien fait Faf- faire de la Grande-Bretagne, s'il y a quelque chose de vrai dans ces plaintes dont Swift surtout s’est fait l’e'cho et qui reclamaient 1’abolition du celibat despre- tres; iis conviendraient encore a ces pays ou l’on attire les etrangers en leur conferant les droits civiques pour sup- pleer au petit nombre d'habitants. 41. Socrate vivait a une epoque ou 1 ’Attique, epuisee par les guerres des Perses et du Peloponese, souffrait de ne plus avoir qu'une population clair-se- mee ; on dit menae que les Atheniens s’ef- forcerent de remedier a cet etat de choses par une nouvelle loi touchant lesmaria- ges. Nousdevons 1’unique renseignement que l’on ait sur cette loi a Socrate , car il n’en subsisterait aujourd’hui aucune IO. >4 SOCRATE agimus conjuncta sit , illam , quam brevi- ter jieri potest , expediemus. Duas So- crati uxores vulgo tribui videmus, Xan- thippen e qua Lamproclem susceperit, et Myrto , Sophronisci atque Menexeni matrem. In hoc conveniunt Cyrillus ( contra Julia. I. 6. p. 186, D) et Theo- doretus (Grcecar. Affect. curat, ser. 6 p. ij4, 40) ac Diogenes Laertius (2, 26). Porro de Xanthippe Cyrillus ex Por- phyrio, 7tspi7tXa-/.asav XaQstv, clanculum in ipsius amplexus venisse ; quod plane repugnat Platoni et Xenophonti, qui nullius conjugis prceter Xanthippen , jus- tam uxorem , mentionem faciunt : tum Theodoreto, qui tamen ipse quoque sua debere ait Porphyrio, sed non tantum pro TCspiTt^axetaav XaOsTv habet 7:po<j-XaxeTcjav Xa6sTv, induxisse priori uxori, ut pereat illa secreti , et furti amatorii notio : sed etiam addit, solitas esse eas mulieres in- ter se depugnare, deinde pace facta con- junctim impetum facere in Socratem ideo , quod is bella illarum non dirime- ret : hunc vero utrumque genus pugna: • et l’amour GREC I I b mention sans la controverse autrefois agitee au sujet de ses deux femmes. Comme cette question tient a notre su- jet, nous la discuterons bridvement. On donne communcment a Socrate deux femmes : Xantippe, dont il eut un de ses fils, Lamprocles, et Myrto, la mere de Sophronisque et de Menexene. S. Cy- rille, Theodoret et Diogene de Laerte sont tous les trois d’accord la-dessus. Mais S. Cyrille, empruntant ce detail a Porphyre, dit de Xantippe que son ma- riage avec Socrate fut clandestin, qu’elle se cachait pour 1’embrasser, ce qui con- tredit absolument Xenophon et Platon, puisqu’ils ne parient d’aucune autre femme que de Xantippe, epouse legitime de Socrate. Theodoret, qui lui aussi dit tenir de Porphyre ses renseignements, change 7iepi7tXoaEiaav XaOsTv en npovnXxxsT- aav XafleTv et declare ainsi que Socrate introduisit Xantippe chez sa premi^re femme, ce qui ruine toute cette histoire de mariage secret, et de furtifs baisers ; bien mieux, il ajoutc que ces deux me- SOCRATE 1 16 cum risu speci are consuevisse. Utri fi dem habebimus? 42. Sed nondum est finis discordia- rum. Theodoretum si audimus , induxit Xanthippen suce jam Myrto Socrates : sed Laertius negat convenire inter auc- tores , utram prius duxerit. Idem ait , simul ambas habuisse Socratem , a qui- busdam esse traditum. In hac sententia etiam fuit auctor Dialogi Halcyon , qui inter primos Lucianeos editur , in cujus fine Socrates dicat , se Halcyonis amo- rem in maritum suis conjugibus Xan- thippee et Myrto prcedicaturum esse. Antiqua porro esse illa relatio memora- tur Callisthenis , Demetri Phalerei , Sa- tyri Peripatetici , Aristoxeni Musici , ET L’AMOUR GREC I I 7 geres se battaient continuellement, puis la paix faite, tombaient a poings fermes sur le pauvre Philosophe, en lui repro- chant de ne les avoir pas separees: pour lui, il restait simple spectateur du com- bat et voyait donner ou recevait lui- meme les coups en souriant. A qui faut- il s’en rapporter, de S. Cyrille ou de Theodoret? 42. Et nous ne sommes pas au bout de la querelle. Dapres Theodoret, So- crate epousa Xantippe, dtant deja marie a Myrto; mais Diogene de Laerte af- firme que les auteurs ne sont pas d’ac- cord et qu’on ne sait qui des deux il epousa la premiere. Il dit aussi qu’il les eut toutes les deux ensemble, et sur quelles autorites repose cette assertion. Elie a ete accueillie par 1’auteur du dia- logue intitule Alcyon, imprime en tete de ceux de Lucien; on y voit Socrate proposer en exemple a ses deux femmes, Xantippe et Myrto, 1’amour d’Alcyon pour son mari. Plutarque (Vie d’Aris- ii8 SOCRATE Hieronymi Rhodii, apud Plutarchum (vita Aristid. extr.) qui ceteris narrandi auctorem fuisse ait Aristotelem in libro de nobilitate, (rapi s-jyevsia;) qui tamen liber an sit Aristotelis, Plutarchus dubi- tat : narrant autem ita, Aristidis neptim Myrto, vidua cum esset et paupercula, domum ductam a Socrate, eique cohabi- tasse, licet aliam uxorem habenti . 43. At non licebat a Cecrope inde Athenis plure s una habere uxores. Qui sit igitur, ut neque Comici exprobrarint, neque Accusatores objecerint digamian Socrati ? Hic nobis narrant Athenaeus et Laertius legem, latam supplenda 1 multi- tudinis civium causa. Exstabat Athenceo prodente ipsum decretum a Rhodio Hie- ronymo conservatum, wax' si-eivat xai ouo ET 1/aMOUR GREC I i q tide) rapporte que cettc opinion etait ancienne, et qu ; elle fut partagee par Callisthene, Demetrius de Phalere, Sa- tyrus le peripateticien, Aristoxene le musicien et Hieronyme de Rhodes; Athenee dit de son cote qu’ils Tavaient tous puisee dans le Traite de la No- blesse d Aristote, livre dont cependant Plutarque doute qu’Aristote soit l’au- teur. Tous racontent que- Myrto, pe- tite-fille d Aristide, etant veuve et se trouvant dans une extreme pauvrete, fut recueillie par Socrate dans sa maison et qu’il cohabita avec elle, quoiquhl fut deja marie. 4 J - Les vieilles lois de Cecrops inter- disaient cependant a Athenes les doubles unions. Pourquoi donc ni les poetes co- miques, ni les accusateurs de Socrate ne lui ont-ils reproche ou oppose ce cas de bigamie ? Cest a ce propos qu’A.thenee et Diogene de Laerte nous parient de cette loi nouvelle_, edictee, disent-ils, dans le but d’accroitre le nombre des citoyens. 120 SOCRATE 'systv yuvatxa; tov [3o'jaojj.£vov. Secundum haec male accusaretur Socrates, qui et legi paruerit de augenda sobole Attica , et Aristidis progeniem viduitate et pauper- tate extrema liberaverit. V 44. Verum enim vero totum hoc de duabus Socratis uxoribus , quin de lege maritali etiam falsum esse , prcesertim ex dissensu commemorato , itemque ex Platonis et Xenophontis silentio arguit Bentleius (1). Et habet , quantum est de monogamia Socratis, magnum auctorem Pancetium, quem laudat Plutarchus, qui cum retulisset eam quce modo proposita est de Myrto narrationem, satis illam refutatam ait a Panaetio : cujus si opus hodie extaret, facilior forte hodie esset causa Socratis, quem tamen a turpi pue- (/) In Dissertat, de Phalaridis et exteror. Epistolis, § / 3 , p. /06 5 9 9. ET l’aMOUR GREC 12 1 Athenee s’avance jusqida dire qu’il y avait un decret, conserve par Hieronyme de Rhodes, et ainsi concu : « 11 est per- mis d’avoir jusqua deux femmes. » Si cela est vrai, on accuserait mal a propos Socrate, qui n’aurait fait qu’obeir a la loi portee en vue de repeupler 1’Attique, et qui de plus aurait sauve du veuvage et de la mis&re la petite-fille d’Aristide. 44. Mais vraiment Phistoire des deux femmes, tout aussi bien que celle de la loi matrimoniale, paraissent en- tachees de faussete a Bentley (1); il se fonde surtout sur le desaccord que nous avons signale et tire une grande preuve du silence de Platon et de Xenophon. Nous avons, pour ce qui est de la mono- gamie de Socrate, une excellente auto- rite, Pantetius, dont Plutarque fait le plus bel eloge; apres avoir rapporte ce que nous avons dit de Myrto, il ajoute que cettefable a ete suffisamment refutee ( 1 ) Dissertation sur les Epitres de Phalaris , Themistocle, Sacrale et Euripide (1697, iu-8"). I 22 SOCRATE rorum amore, et a lenocinio turpi , et a libidinosa digamia, vel sic satis libera- tum esse confido. 123 ET L AMOUR GREC par Panaetius. Si nous possedions son livre, la cause de Socrate serait aujour- d’hui plus facile a defendre; je pense cependant avoir prouve qu’il ne fut ni un corrupteur de la jeunesse, ni un provocateur a la debauche, ni un bi- game libertin. TABLE DES MATIERES Alcibiade; ses avances repouss^es par Socrate, p. 97-99. Ame, comparde par Pla- ton a un attelage ai!6, p. 29, 47-65 ; — clas- sification des ames suivant le degrd de connaissances acquises avant la vie, p. 3 1 - 3 5 . Amour philosophique, p. 35 , 43; — raisons qui dirigent les choix dans cette sorte d’a- mour, p. 45-47; — les impuretes ou il peut s’egarer, p. 69. Analyse du Lysis, dialo- gue de Platon, p. 21; — du Phedre, p. 23 - 29; — du Banquet, p. 95 et suiv. Beaute morale et Beaute physique, p. 39-41. Bigamie; Socrate eut-il deux femmes? p. 1 1 3 et suiv.; — la bigamie etait-elle autorisde en Grece ? p. 1 19. Cohorte sacree des amants, a Thebes et en Crete, p. 83 . Inspires; couples d’amis, p. 85 - 87 - Minies ; leurs exercices et poses plastiques, p. io 5 . riaiospaatsta, le mot et la chose pouvaient etre pris en bonne part, chez les Grecs, p. 89. Peines portees par les Grecs contre les infa- mes, p. 75. Pronostics tirds par les physionomistes de la voix forte et grave, p. 5 1 ; — de lencolure courte, p. 55 ; — des oreilles velues, p. 57 ; — des grosses levres, p. 5 q; — du nez ca- mard, p. 59; — des yeux saillants, p. 61. Representations mytho- logiques et divertisse- ments dans les festius, p. 105-109 ; — dans les mysteres, p. 109 (note); — effets singuliers pro- duits parfois sur les convives par ces re- pr^sentations, p. m. Socrate; motifs ordi- naires des accusations portees contre lui, p. 1 5 — 1 7 ; — pourquoi il recherchait les beaux garcons, p. 43 ; — son portrait physique, p. 49 et suiv. Socrate l’ Ecclesiasti- que ; comment il a ac- cuse, sans preuves, So- crate le Philosophe, p. 9. Sparte ; coutume rappor- t6e par Elien, p. 85 ; — les amours impures y etaient ignorees, p. 8.7. Paris. — Imp. Motteroz, 3 i, rue du Dragon.
Monday, March 21, 2022
Subscribe to:
Post Comments (Atom)
No comments:
Post a Comment